Un monde sans humains
Cycle de débats : Le corps envahi par la technique
1er débat organisé le 3 avril 2015, dans les locaux de la Mairie du 2ème arrondissement, autour du film de Philippe Borrel, « Un monde sans humains » réalisé en 2012 et présenté dans sa version courte de 56 minutes.
Avec :
- Philippe Borrel, réalisateur (l'Urgence de ralentir, Les insurgés de la terre, Un monde sans fous, …)
- Jacques Testart, biologiste, pionnier du développement de la technique de fécondation in vitro et de la reproduction assistée ; fondateur de " Sciences Citoyennes "
Modératrice : Caroline Lemerle (membre de Technologos).
En introduction
- Le maire M. Jacques Boutault : « Il ne faut pas laisser l'avenir aux mains des experts »
- Antony Laurent (membre de Technologos) rappelle quelques points du manifeste de l'association (autonomie et menace de la technique) et le fonctionnement, de type confédératif, de l'association.
A propos de « Un monde sans humains »
De nouvelles machines, plus performantes, ne cessent de sortir des cartons en se faisant toujours plus présentes. Quelles ambitions ces ingénieurs accoucheurs de technologies qui affectent l'homme au plus près de son corps et de son être nourrissent-il ? Car, outre les "robots humanoïdes" -ces machines censées nous ressembler- il y a celles qui nous approchent, en amies, pour se mêler de notre corps, se mêler même à lui. Celles-là ciblent nos cerveaux, promettant qu'artificialisé, il fonctionnera mieux que jamais, qu'une fois copié, il pourrait ne jamais disparaitre. Quelles réflexions suscitent-elles chez ceux que ces aventures techno-scientifiques interpellent ? Quelle société peut-on imaginer si ces projets aboutissent ? En nous emmenant à la rencontre des uns et des autres (aux USA, en France, en Corée du Sud...), Philippe Borrel nous aide à prendre conscience de ce qui est en train de se jouer. Au-delà, on peut s'interroger... Et la technique dans tout cela, n'est-elle pas une œuvre humaine, intimement liée à l'homme, son miroir presque ? Alors pourquoi fait-elle problème ?
Intervention préliminaire
De Jacques Testart
- Se dit terrifié par le film de P. Borrel, et souligne le caractère inéluctable de ce qui est en cours car « on ne peut arrêter la science ».
- Colonisation de l'imaginaire avec la notion d'illimité, importance des pulsions de pouvoir.
- Ceux qui prônent le transhumanisme ne se posent pas la question de savoir si on en a vraiment besoin.
- Puissance des labos de transhumanisme financés par Google, les états, la NASA, …, avec la mobilisation des meilleurs cerveaux et accaparant l'essentiel des fonds alloués à la recherche.
- Le but, c'est le profit grâce à la production accélérée d'innovations, et non plus celui de la connaissance pure. Donc pas le temps de penser, réfléchir, intégrer, refuser, imposer des limites.
- Seule référence : la loi de Moore où l'informatique double sa puissance tous les 18 mois, mais aussi l'informatique en général, qui transfère sa vision sur le biologique, et en particulier en s'intéressant à l'ADN. Les informaticiens n'hésitent pas à procéder à des manipulations génétiques dont on ne connait pas les conséquences.
Echanges avec la salle
Deux thèmes émergent :
1) La colonisation du futur par le transhumanisme :
L'homme se sent imparfait par rapport à la machine (cf L'obsolescence de l'homme de Günther Anders).
- Avec le projet d'immortalité, la question du bonheur est posée : il ne s'agit pas d'ajouter des années à la vie, mais de la vie aux années.
- Aucune différence entre machine et esprit, alors que le vivant est toujours beaucoup plus complexe.
- Est ce qu'on veut de toute cette machinisation de l'être humain et ces objets qui nous sont imposés?
- Rien n'est dit sur les conséquences, les problèmes des déchets, les composants (métaux rares), les coûts de fabrication (par exemple des portables).
- « Il faut laisser faire et sédimenter » : n'est-il pas candide de vouloir aller contre l'esprit humain qui est d'être curieux ?
- L'origine du transhumanisme vient du monde hippie (les adeptes voulant, dans les années 70, échapper à la consommation et au matérialisme). Mais ils ont, en fait, développé un nouveau totalitarisme de type nazi. Le transhumanisme, c'est l'illusion d'un monde meilleur avec la création d'un groupe supérieur et le rejet du politique, après l'utopie cybernétique d'un gouvernement par des machines… pour la paix !
- Question essentielle de l'hérédité. Reproduction du bionique ? Ils n'en parlent pas mais les transhumanistes envisagent de mélanger les espèces et de " s'amuser " à franchir leurs frontières. Les implants ne sont pas transmissibles. Les généticiens vont être dépassés, la question des gènes reste très compliquée. Par exemple, l'identification d'un gène de l'intelligence n'est pas encore réalisée.
- Est-ce par le tri eugénique des embryons que la reproduction d'une « race supérieure » sera assurée ?
N'est-ce pas déjà commencé ? - On peut comprendre pourquoi l'armée US finance cela.
- Utilisation des technosciences poussée à l'extrême par le transhumanisme : ce sont des informaticiens et non des biologistes qui s'occupent de biotechnique. Génétique et informatique sont devenues des outils policiers. Les informaticiens peuvent devenir les maitres du monde avec le big data.
- Le contrôle technique du cerveau, est-ce possible ?
Il existe déjà des drogues pour désensibiliser, rendre fort…. - Il y a une sorte de terrorisme chez les transhumanistes, qui empêche de réaliser, " digérer ", l'énorme puissance prise par la technique. Ajoutons celle des différents lobbies du monde industriel, de la santé et de l'environnement considérant les hommes comme des consommateurs dépendants et non des citoyens.
- La technique n'est pas neutre, elle a une origine sociale et politique et émane d'un rapport de forces.
- Le TAFTA actuellement en négociations toujours cachées, est dans la même veine, celle de la financiarisation de tous les aspects de la vie et de l'environnement.
2) La résistance et/ou l'inéluctable ?
Beaucoup d'idées sont avancées.
- La géologie donne un monde limité, donc une croissance illimitée n'est pas pensable dans un monde fini, c'est une absurdité.
- On peut imaginer une panne générale de portable … ou une autre grave gêne massive.
- Inversion de la polarité du globe terrestre qui perturberait le fonctionnement des machines.
Que faire ?
- Recréer des communautés de vie, des zones d'expérimentation de vie en commun, susciter réflexion et prise de conscience par tous les moyens possibles.
- Résistance à quelles innovations ? High Tech ou Low Tech ?
Créer des oasis de vie (Pierre Rabhi). Mais la sécession est difficile, car nous sommes devenus très dépendants. Rudolf Steiner et son concept de « machine-morale ». - Remise en cause de ce qui cautionne un développement inéluctable : inanité du modèle masculin de la guerre et de la concurrence.
- L'espoir d'un monde meilleur conduit à la catastrophe :
« Il faut donc aimer le monde tel qu'il est » Toni Negri. - Résister à l'échelle locale, car les logiciels de surveillance sont généralisés. Résister à Google.
- Ou utiliser la technique pour de plus larges rébellions ? (cf les révolutions arabes)
- La technique pourrait être au service de l'écologie profonde, et que ce soit une décision collective ? "Sur quelle arène ? " demande Jacques Testart.
- Rappel que l'intelligence se trouve dans tout le corps et non seulement dans le cerveau.
- Présent se prolongeant dans le futur avec la présence toujours plus ingérable des déchets.
- Laisser faire ? Une option, mais jusqu'où ? Démarche de la " simplicité volontaire ".
Mots de la fin
Nous remercions nos deux intervenants pour leur contribution à cette soirée ainsi que la Mairie du 2ème arrondissement qui nous a accueilli chaleureusement et a participé à la logistique de cette soirée.