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Penser la technique aujourd'hui
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Alimentation : attention !

Cycle de débats : Le corps envahi par la technique

2ème débat organisé le 20 novembre 2015 dans les locaux de la Mairie du 2ème arrondissement.

Modératrice : Hélène Tordjman (économiste)
Intervenants :

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Extraits de vidéos en mise en bouche

Introduction par Hélène Tordjman

Ces extraits ne sont pas très joyeux et ces derniers temps non plus, mais au moins nous sommes vivants et nous avons de la nourriture à « ingérer ». Cependant nos questionnements de ce soir ne sont pas si futiles. Les liens entre les différentes crises existent. Il y a en commun une technique déshumanisante qui mène à la violence, à la barbarie. C’est clair dans les attentats, mais plus insidieux dans la recherche de productivité des industries agro-alimentaires.
Au sein de l’association Technologos, en nous aidant d’auteurs comme Arendt, Illich, Ellul, nous tentons de penser la violence du monde contemporain. Le débat de ce soir se focalise sur les techniques envahissantes dans l’alimentation.
L’hyper-productivisme qui suit la seconde guerre mondiale, et plus tard la révolution verte mènent aux techniques d’aujourd’hui : un choix de variétés de plantes compatibles avec le système industriel, c’est-à-dire cultivées, ramassées, traitées de manière mécanique et à grande échelle, les OGM étant un pas de plus dans la même direction.
Ces techniques sont celles d’une industrie intense en capital, pratiquant une très grande division du travail. A toutes les étapes, il y a des interventions artificielles. Les transports et les séjours en entrepôts sont très longs, d’où l’irradiation pour tuer les bactéries (y compris les “bonnes” bactéries) : les aliments doivent supporter ces traitements et être adaptés aux usages pour lesquels ils sont prévus (souvent très uniformes, et qui font qu’une variété de culture va clairement devenir hégémonique).
En aval, on peut constater les effets sur la santé, moins clairs au prime abord que les effets sociaux et environnementaux (pollution, dépossession des petits paysans…)

Finalement tous les aspects symboliques de l’alimentation, créatrice de lien social, disparaissent au profit d’une vision unidimensionnelle : l’ingestion de protéines.

Véronique Gallais (l’irradiation des aliments)

Le documentaire d’Aude Rouaux, dont on a vu un extrait, parle de 3% d’aliments irradiés en France. Mais en fait on ne peut le savoir, car il n’y pas de contrôle ni de traçabilité. Cette technique d’irradiation est née de l’union des industriels de l’agroalimentaire et du nucléaire, dans le cadre de l’application pacifique de l’atome. Actuellement le taux reste faible, mais l’irradiation s’avère très pratique pour l’agro-industrie mondialisée. Malgré des actions de protestation de la société civile cette pratique continue sous couvert de sécurité alimentaire.

Le positif :

Cette technique peut tout traiter : produits secs ou frais, bruts ou préparés.
Est prétendument moins toxique que les traitements chimiques.
Détruit les insectes. Ralentit le murissement. Inhibe la germination.

Le négatif :

Peut masquer un produit à l’hygiène douteuse. Détruit les vitamines, les minéraux. Génère des radicaux libres cancérogènes. En Australie il y a eu un scandale avec des chats victimes (morts ou paralysés) d’aliments irradiés.

Par l’augmentation de la durée de conservation et stockage, elle sert d’abord les intérêts des industriels.

La technique des rayons gamma permet l’irradiation par palettes d’aliments emballés dans du plastique. Se pose alors le problème de la migration du plastique dégradé vers les aliments.

Aucun financement n’est débloqué pour étudier les effets de l’irradiation des aliments.
Aucune information n’est non plus donnée sur les interactions entre l’irradiation et les produits chimiques.
En France, il y a 4 unités d’irradiation, 3 par rayons gamma, 1 par faisceau d’électrons.

La réglementation venant de l’OMS - qui n’est pas indépendante de l’AIEA (Agence Internationale de l’Energie Atomique) - les institutions sont juges et parties et nous disent que tout va bien. La DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) relayant les discours de l’EFSA et l’AFSA (respectivement Autorités Européenne et Française de Sécurité des Aliments) disant que tout va bien, l’industrie a pour elle l’aval des avis officiels pour continuer !
La conséquence en est la multiplication des agents pathogènes avec une dimension mondiale des crises aujourd’hui.

Hervé Le Meur (les OGM)

La directive 2001/18 de l’Union Européenne définit les OGM (2).
L’ OGM n’existe pas naturellement , il se caractérise par sa technique d’obtention.

De ces trois techniques de production d’OGM, seule la transgenèse est surveillée, et encore à notre avis trop peu !
Deux types d’OGM transgéniques sont élaborés : les RR (résistants à un herbicide) les Bt produisant un insecticide.

Les différents aspects : politique, juridique, agricole, philosophique, sont à prendre en compte.
Le projet de Monsanto par exemple n’est pas seulement de faire du profit mais aussi de contrôler la chaîne alimentaire mondiale ! Ceci constitue un accaparement du vivant.
Les brevets sur le vivant allant avec les OGM rendent les petits paysans contrefacteurs. Le paysan n’est plus indépendant. La transgenèse et les brevets sur le vivant répondent au projet de Descartes « se rendre comme maître et possesseur de la nature ». Mais l’homme devrait faire attention, car la prochaine étape après « bidouiller » la nature, c’est « bidouiller » l’homme.

Raymond Leduc (sa vie d’exploitant agricole)

Il déclare avoir eu de la chance d’être encore en vie car beaucoup de paysans ont succombé aux traitements chimiques qu’ils utilisaient. Formé aux techniques agro-industrielles, il a commencé par l’utilisation d’engrais, puis de différentes sortes de pesticides, avant de choisir de devenir paysan charcutier. Par ses actions dans le domaine syndical, associatif, militant, il est proche de Marc Dufumier et Christian Vélot.

C’est vrai que les pesticides ont amené un gain de temps, un travail moins pénible et un « certain confort ». Auparavant on dépensait 3 tonnes de pétrole pour une tonne d’engrais. Mais aujourd’hui tout est plus cher. Si l’agriculture est tant subventionnée aujourd’hui, c’est qu’elle est en faillite. Les gros producteurs dépendant de ces aides, le sont encore plus.

Avec le Plan Protéine des années 60, il a fallu industrialiser l’agriculture. C’est à cette période que naissent les producteurs porcins en Bretagne, dans le Nord. En Ile de France, il y avait auparavant 35 000 maraîchers pour 6 millions d’habitants. Et maintenant seuls 3% des besoins alimentaires de l’IdF sont couverts par la production locale. La production de céréales d’IdF est devenu prépondérante (70% allant en Bretagne pour l’élevage porcin). Pour relocaliser la production, la France a besoin d’un million de paysans et de leurs familles.

Le bio est cher car la quantité produite est insuffisante. Plus il y en aura, plus le prix baissera. L’une des dérives actuelles sur le bio est de ne pas prendre en compte la différence entre l’agriculture raisonnée (qui résulte d’un raisonnement économique, non écologique, sans rotation des cultures) et le bio (qui est une agriculture à l’ancienne). L’agriculture raisonnée n’est pas une véritable alternative, car elle met en jeu autant de matières actives chimiques. Cette année, l’utilisation des pesticides a augmentée de 20%.

Il faudrait se rappeler d’où on vient, même si on n’est pas assez vieux pour se rappeler de tout. Le tournant date de l’après première guerre mondiale, avec une disparition dès lors du savoir paysan. Le savoir paysan a disparu en 1914, que ce soit du côté français ou allemand. L’intelligence du regard paysan a été ignorée, rejetée. Il n’y a plus de paysans aujourd’hui, mais des entrepreneurs, des agents immobiliers, et parfois le matériel agricole est devenu plus cher que la valeur foncière des exploitations. Les grandes surfaces dirigent l'agriculture et ce seront bientôt les banques qui possèderont les exploitations. La spéculation foncière est ce qui intéresse les gros agriculteurs aujourd’hui.

Ce qui est frappant, c’est que les jeunes ne veulent plus faire ce que l’éducation nationale prévoit pour eux. Oui, on peut être manuel et intellectuel. Et être paysan.

Synthèse par Hélène

Face à la complexification et la situation de rente caractérisant la production alimentaire aujourd’hui, les alternatives consistent à diversifier, aller vers l’agriculture vivrière, pratiquer la permaculture, redécouvrir la rotation des cultures.

Débat

Question : Est-ce qu’il n’y a pas aujourd’hui une récupération de l’agro-écologie par l’INRA, notamment pour faire passer les OGM?

R. L. : Beaucoup d’amalgames sont faits, concernant la présence animale sur les exploitations par exemple : L’INRA défend la ferme des 1000 vaches ! C’est un détournement de l’agro-écologie qui consiste à regrouper différentes activités dans une même exploitation comme par exemple avoir des animaux et pratiquer l’agriculture.
Les mots sont détournés. On se retrouve par exemple avec de la bio productiviste. Il faut rester militant et ne pas “y aller pour la bulle”.
Problème en IdF : il n’y a pas suffisamment de produits frais car les producteurs ne sont pas assez nombreux.
H. L. cite l’exemple du poireau qui sentait trop fort et a été évincé au profit d’une variété plus douce mais qui ne repoussait plus suffisamment les insectes nuisibles ! Il a donc fallu recourir aux produits chimiques.

Question : En détruisant les bactéries l’irradiation ne nuit-elle pas à une bonne biodiversité où les bonnes combattent les mauvaises ?

V. G. : oui, c’est certain

Question : V. G. et H. L., vous dîtes qu’il y a peu d’études sur l’irradiation ou les OGM, mais est-ce qu’on veut vraiment le savoir ?

La fascination pour la technique ne passe-t-elle pas par cet aveuglement volontaire ?
Est-ce que le bio peut-être irradié ?
Non, le bio ne peut pas être irradié dans la réglementation européenne. Mais il n’y a pas de contrôle, les effectifs sont en baisse. En 2010 les unités d’irradiation française devaient transmettre leurs données. Mais ne l’ont pas fait depuis. Cette obligation n’existe pas au niveau de l’UE. La DGCCRF connaît les quantités irradiées en France mais pas celles irradiées hors de France puis importées. Les dérogations sur les aliments irradiables changent par pays à l’intérieur de l’UE. Belgique, Hollande et France sont ceux qui irradient le plus.
Il peut y avoir fraude à l’étiquetage, et les contrôles coûtent très chers. C’est indétectable à l’œil nu. Un seul labo, Aerial, fait des tests.

Question : Les dérégulations sur les OGM ne préparent-elles pas le TAFTA (3) ?

R. L. : C’est un peu la question de la poule et de l’œuf, mais il est certain que cela provient d’un même système qui contribue à broyer l’humain. En IdF, la biodiversité cultivée a disparu. LE TAFTA, c’est l’accélération des échanges mondiaux au détriment du local.

Remarque : Nous sommes abattus en ce moment. Or il faudrait travailler avec beaucoup d’espoir, comme le mouvement Colibris.

V.G.: Oui, d’accord. Faire des initiatives à l’échelle locale comme les coopératives est une bonne chose. Mais attention à la récupération ! En tous les cas, manger différemment, toujours s’informer.
H. T. : On peut pour commencer aller à l’inverse de la “voie” du TAFTA.
R. L. : Le piège vient de l’incitation à la propriété, qui fait qu’on s’enchaîne à un crédit, ou qu’on n’est pas pris au sérieux si on ne possède pas de la terre.
La terre à ceux qui la travaillent!
H. T. : Il peut y avoir une convergence des luttes.

Remarque d’une personne qui a assisté à la projection d’Un monde sans humain organisée par PMO à Marjolaine : il faut accepter notre finitude contre ceux qui nous vendent le fantasme d’une technique visant à l’immortalité.

Est-ce que les changements climatiques vont éveiller les consciences, du citoyen comme du dirigeant ?

H. T. : Du citoyen, oui.On en voit des exemples partout aujourd’hui. Du dirigeant, rien n’est moins sûr : les gouvernants vont dans le mauvais sens pour répondre aux problèmes du changement climatique : plus de science, de technique, de contrôle… Des textes en accès libre montrent qu’ils vont vers le transhumanisme.

Remarque d’une auditrice au sujet du TAFTA : de toute façon, il n’y a pas de droit des multinationales aujourd’hui.

H. L.   Si, il y en a un, et il est en leur faveur !
Réponse de la personne de la salle : c’est trop technique pour être expliqué.
V. G. : justement, c’est comme pour l’irradiation des aliments, l’opacité est organisée pour qu’on ne puisse pas s’en occuper eu niveau de la société civile.

Diverses remarques et commentaires :

Le Bio nécessite de l’intelligence dans l’approche, car il faut regarder ce qui se passe, et trouver des solutions les plus en équilibre avec le milieu naturel.
Enlevons les préjugés, les a priori pour revenir dans le positif. Recréons le lien.
Impact de la non-orthodoxie des économistes actuelles qui installent une doxa asphyxiant les personnes et favorisant la machine capitalistique.
Pression du changement climatique avec le souhait que nos dirigeants se sentent plus aptes à gérer celui-ci pour revenir à des pratiques plus respectueuses.
On doute que le droit, la finance et le sentiment de justice cohabitent dans ce monde et s’opposent plutôt.
Point sur le saumon OGM (modifié pour avoir forte croissance) avec les risques de diffusion dans la nature.
Production au Canada et à Panama.
Rappel de la coopérative la Louve favorisant les circuits courts et les produits de saison.
Phytosanitaires. Un terme qui désigne les produits destinés à la protection des plantes. Il est souvent utilisé à la place du noir « pesticides » ou « produits chimiques ».

Mots de la fin

Nous remercions nos intervenants pour leur contribution à cette soirée, les participants, ainsi que la Mairie du 2ème arrondissement qui nous a accueilli chaleureusement et a participé à la logistique de cette soirée.


Notes

  1. Effet cocktail : un phénomène par lequel plusieurs acteurs, facteurs ou influences agissant ensemble créent un effet plus grand que la somme des effets attendus s'ils avaient opéré indépendamment,
  2. OGM est un organisme, à l'exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d'une manière qui ne s'effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle.
  3. Plusieurs appellations pour désigner la même chose, c’est à dire :
    Le traité de libre-échange transatlantique ou Trans-Atlantic Free Trade Agreement (TAFTA)

    Le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI) ou
    Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP)