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Diagnostique de Santé Mentale

Présentation et résumé par Roseline

A partir du livre de Roland Gori : "Faut il renoncer à la liberté pour être heureux ?" (un vrai titre de magazine people!), j'ai essayé ce soir là, de parler des accords secrets ( savoir/sciences et pouvoir/techniques ) entre les nouveaux symptômes des troubles mentaux et leurs organisations diagnostiques déterminés par le DSM 1, 2 , 3, 4 et 5. Il s'agit du  Manuel de Diagnostic de Santé Mentale initialement proposé par les psychiatres américains de 1968 jusqu'à maintenant et surtout en opposition  au courant plus européen de la Psychanalyse.

Pourquoi ce choix si spécifique ? Tout simplement  parce que la façon pour une société, de traiter "la folie", "le trouble mental"- en fait, ce qu'elle juge relever du désordre -  est à l'image même de cette société. Il n'est donc pas négligeable d'interroger sous cet angle, l'inflation technicienne de l'évaluation en général et en particulier,  au cœur même du travail diagnostique du trouble mental.
Depuis la fin de la dernière guerre, les symptômes post traumatiques des soldats ( auparavant on les tuait pour cause de lâcheté) ont conduit les psychiatres américains à établir des questionnaires destinés à compléter l'entretien clinique et  en limiter le risque arbitraire, grâce à une série de critères consensuels.
Mais au fur et à mesure d'une évolution générale de nos sociétés de plus en plus technicisées, une "néo psychiatrie" à tendance hygiéniste s'est répandue à travers l'utilisation toujours croissante du DSM surtout aux Etats Unis ( moins en France) entraînant sur-diagnostics et sur-consommation de médicaments (en particulier du côté des enfants et adolescents ).
Depuis 1968, affinant toujours plus le contenu des procédures automatisées, les diagnostics se sont enrichis de prescriptions toujours plus adéquates aux troubles répertoriés, mais aussi à la production médicamenteuse.

Autant dire que l'industrie du même nom y a mis plus que son nez ... en investissant les travaux d"experts" ( conflits d'intérêts pour 2/3 d'entre eux à l'occasion du DSM V  *) dont les résultats numérisés à outrance vont acquérir un statut de vérité pseudo scientifique grâce à l'autorité de la machine.
Auto légitimation de la psychiatrie par elle même, ses experts consciencieux, toujours plus pointus à augmenter le nombre des pathologies d'environ 60 à environ 400 (chiffre incertain )
( d'où une certaine agitation plutôt rieuse dans le débat, à forcément s'y reconnaitre en l'une d'elles!)
Qui est fou ? le psy (bien sur), la machine, la société ?
Ne parlons plus du sujet malade dont la singularité tend à se dissoudre dans une  évaluation  exclusivement chiffrée au cours d'une consultation en un  temps requis.
Le temps d'un entretien clinique n'est pas le même,  car dédié à une liberté de parole au sein d'une rencontre intersubjective.
La plainte, le récit, l'histoire et le sens peuvent s'y déployer avec les multiples ambiguïtés  des mots  , véritable fil rouge d'un mal être... qui peut , à se laisser dérouler - au mieux - devenir celui du soin .
La condition du langage est défendue par la psychanalyse et toute approche thérapeutique non automatisée.

Nouvelles économies psychiques

Avant de les évoquer plus précisément, R.Gori, en se référant à nos auteurs préférés ( Ellul, Arendt et d'autres) passe par le repérage central de la valeur travail qui s'est déployée au XVII e, "... amplifiée avec l'industrialisation et radicalisée avec l'apothéose de la société de consommation au XX e" (p.70) provoquant une véritable mutation anthropologique. Les nouvelles "conditions numériques" du travail opèrent de profondes transformations dans les comportements, le temps de la réflexion, et la manière de penser.
Une "idéologie de l'immanence" empêche, court-circuite le temps de la pensée et  sa concentration nécessaire.
A cela répondent les TDAH (Troubles de l'Attention et de l'Hyperactivité concernant l'inattention, l’excitation, l'absence de contrôle et diverses addictions (y compris aux objets).
On ne peut éviter de remarquer les rapports frappants :

* Fogel dans "La condition numérique" parle d"Infobésité"
* Rafaele Simone dans "Pris dans la toile" nous livre une description saisissante de l''homme du web". Il le dit : inattentif, superficiel, avide d'excitation et pauvre en expérience, moralement lâche mais convivial et compassionnel, gentiment faussaire, oublieux mais surinformé, égoïste et extraverti, transparent mais caché.
Bref , tout ce qu'il faut pour diagnostiquer un TDAH

Ecriture et mémoire

Quelques mots  sur ces sujets d'importance, pour donner envie de lire R.Gori.
A propos des textes déposés sur la toile, il écrit : p 85  "... à la suite de ce changement technologique, nous devenons perméables, fluides,incertains, précaires et éclatés, orphelins d'un lieu et d'une source".
Il veut pointer là les modifications importantes du rapport à l'expérience, au savoir et à sa transmission.

Il pose également la question du devenir d'une mémoire générale et particulière externalisée dans la machine ? quels sont les critères de vérification , de conservation  des connaissances ?
L'attrait pour l'incessante nouveauté sollicite une "intelligence immédiate" (R.Simone) au détriment de l'intelligence séquentielle qui doit décomposer pour analyser et mémoriser. Cet auteur, toujours cité par R.gori, parle d"une nouvelle école de la pensée" non alphabétique ruinant le langage au profit de l'image et du son : " La fatigue du lecteur ne peut rivaliser avec la facilité du spectateur".

Il ne peut y avoir de conclusion à ce CR, mis à part la lumière posée sur une "néo psychiatrie" numérisée en parfaite concomitance avec notre société numérisée, l'une modelant l'autre.

Perspective

Reste à jeter plus qu'un œil sur ce qui nous fait nous soumettre à l'emprise majeure , rapide et sournoise de notre temps et .. jusqu'où ? jusque à quoi ?
Est ce pour du bonheur vendu par et pour la machine ?
Est ce pour l'ordre, le bonheur de l'ordre ou l'ordre du bonheur ?
Est ce que cela fait bon ménage avec la liberté , le désir  et la responsabilité ?

Une fiction chaleureusement recommandée par R.Gori , justement sur ce sujet

"L' homme qui voulait être coupable" d' Henrik Stangerup  - 1979 - Cliniques méditerranéennes n° 74 en 2006
https://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=CM_074_0173&DocId=34960&hits=32+31+

Références

Quelques critiques du DSM

Complément

Le dernier livre de R.Gori sur la résistance par le langage, la parole, le récit
http://www.oedipe.org/fr/prixoedipe/2012/goripotier