TECHNOlogos 6èmes Assises des 21 et 22 septembre 2018 : "Agriculture, technique et vivant"

Quelles alternatives à la privatisation des semences

Semences libres, open source, participatives, intelligentes… ou droits collectifs des agriculteurs ?

Par Guy Kastler

Retranscription

 

Hier je vous ai parlé de mon métier de berger, des animaux qui sont des êtres sensibles qui communiquent avec nous. Non seulement nous parlons aux animaux, mais les animaux nous parlent aussi. Aujourd'hui je vais vous parler des semences en commençant par dire que les plantes comme les animaux sont des êtres vivants, sensibles auxquels ont peut parler et qui nous parlent et avec lesquels on peut communiquer et qui communiquent avec nous. Si vous ne comprenez pas cela, si vous considérez que les plantes sont des machines qui reproduisent ce qui serait inscrit dans des petits Lego qu'on appelle des gènes et qui se reproduisent à l'identique à l'infini, vous pouvez ne pas rester et ne pas écouter ce que je vais vous dire.

Deux systèmes agricoles

Pour rebondir sur ce que vient de dire Marc Dufumier, on a à faire aujourd’hui, en simplifiant, à deux systèmes agricoles. L'un industriel, qui dépend totalement de l'énergie fossile, et peut-être demain de l’énergie issue de la transformation de la biomasse, c'est à dire de l'énergie produite par la photosynthèse des végétaux qui n'est pas illimitée. Cette production d’énergie avec la production agricole de biomasse est une impasse encore plus grave car, pour produire l’engrais chimique qui sert à augmenter la production de biomasse, il faut plus d'énergie que le supplément d’énergie que l'engrais va permettre aux plantes de produire. L'autre système, l’agriculture paysanne ou encore les agricultures dites alternatives avec une partie importante qui est l'agriculture biologique.

Pourquoi la semence est-elle au cœur de ce débat-là ? Pour nous paysans, la semence que l'on met en terre – sda qualité, le type de semence qu’on utilise– détermine le modèle agricole qu’on pourra pratiquer. Si vous mettez en terre des semences qui ont été sélectionnées uniquement pour transformer l'azote des engrais chimique, qui donnent des plantes avec des racines qui sont essentiellement en surface du sol - qui n'iront pas atteindre la roche mère ni se marier avec les mycorhizes -, vous ne pouvez pas cultiver en agriculture paysanne ou biologique sans pesticides chimiques de synthèse.

C'est quoi les semences paysannes ?

Il y a dix ans, on disait que les semences paysannes n'existaient pas. Aujourd'hui, tout le monde en parle. Elles existaient très peu en France et en Europe Occidentale à la fin du siècle dernier. Il y en a beaucoup plus maintenant, mais elles ne représentent toujours qu’un très petit pourcentage de la totalité des semences utilisées chaque année. En rebondissant sur ce qu'a dit Vincent Tardieu hier, le fait que l'on en parle beaucoup va peut-être les tuer. On voit en effet des entreprises industrielles et commerciales de taille importante qui vendent des semences qu’elles baptisent « paysannes » et cela m'interroge car une « semence paysanne », c'est une semence qui est produite par des paysans. L'entreprise industrielle produit des semences en dehors des champs des paysans. Les semences paysannes, leur particularité, leur intérêt, c'est qu'elles sont sélectionnées et produites dans le cadre de la production agricole, dans les conditions dans lesquelles elles vont être cultivées. Seules les semences paysannes peuvent ainsi, de génération en génération, s’adapter à chaque terroir. Et comme les plantes sont des êtres vivants et non pas la reproduction à l'identique d'un génome immuable, elles sont capables de s'adapter en permanence aux changements qui se produisent dans chaque terroir : le climat, les pathogènes, les modes de culture… évoluent sans cesse. Il ne faut pas oublier qu'avec la mondialisation, on a créé un marché mondial des pathogènes des plantes qui accompagnent la circulation des marchandises.

L'adaptation locale

Il faut d’abord que les plantes s'adaptent à chaque terroir, car les terroirs ne sont pas identiques. Contrairement à la plante, la graine peut circuler d'un terroir à un autre. Les semences paysannes ont cette capacité d'adaptation et s'adaptent là où elles sont cultivées. Si je sélectionne une semence sur le lieu où je la cultive, j'ai plus de chance qu'elle soit adaptée à ce lieu. Alors, que lorsque l’industriel sélectionne ses semences en multipliant des cellules isolées dans une boite de Pétri au laboratoire, je ne vois pas comment dans cette boite, ces cellules vont pouvoir s'adapter à des environnements de culture qu'elles ne connaîssent pas.

Le professeur Nimbus qui invente tout seul la semence merveilleuse qui va pouvoir pousser partout, cela existe peut-être dans la propagande de Monsanto, qui prétend l’avoir inventée dans ses laboratoires de production de plantes élites et d’OGM. Pour les paysans, la plante élite n’existe pas, pour une raison simple : on vit et on travaille avec des êtres vivants diversifiés dans des terroirs tous différents et des climats qui évoluent de plus en en plus.

Les droits collectifs des paysans d’utiliser et d’échanger leurs semences

La sélection paysanne ne peut être qu'un travail collectif. Pourquoi ? Je vais sélectionner mes plantes dans mon champ. Elles vont s'adapter à mon champ et, de génération en génération, j'aurai des plantes de plus en plus adaptées. Mais elles ne seront pas adaptées à des terroirs différents. Et si mes plantes sont de plus en plus adaptées à mon champ, leur diversité génétique diminue. Or mon champ évolue : le climat change, de nouveaux pathogènes viennent d'ailleurs. Il faut que mes plantes puissent s'adapter chaque année à de tels changements et pour cela, elles ont besoin de conserver suffisamment de diversité génétique. Si un pathogène arrive et que mes plantes toutes identiques y sont sensibles car je les ai toutes adaptées exactement au même écotype qui ne connaît pas ce pathogène, elles meurent toutes. Si par contre j'ai conservé la plus grande diversité possible, il y en aura toujours quelques unes qui vont arriver à s’adapter aux changements et à résister au pathogène. Et je pourrai ainsi continuer à récolter et à sélectionner.

Le premier outil de travail du paysan qui sélectionne ses propres semences - graines, plants, tubercules, etc. -, est donc le droit de les prélever dans sa récolte. Il va choisir les plus belles plantes qui sont belles parce qu’elles se sont adaptées à son terroir. Mais pour maintenir suffisamment de diversité, il devra aussi échanger en permanence des petites quantités de semences avec ses voisins qui seront peut-être dans le même biotope, le même terroir, mais avec des différences. Et de temps en temps, il ira en chercher d’autres assez loin pour introduire des caractères totalement nouveaux dans son champ afin d’enrichir sa diversité. Mais il ne pourra pas alors les cultiver tout de suite. Si je sème des graines de quinoa qui viennent d'Amérique du sud, du Pérou..., elles ne vont pas pousser de manière extraordinaire dès la première année car elles ne sont pas adaptées aux conditions de culture de ma région. Lorsque je reçois des semences qui viennent relativement de loin, je ne vais pas semer beaucoup de surface, sinon je n'aurai pas de récolte. Je vais d'abord les adapter. Planter des petites parcelles, regarder ce qui se passe, laisser faire les plantes qui vont choisir comment s'adapter. Et au bout de quelques années, je vais pouvoir commencer à sélectionner, à les adapter chez moi et peut-être qu'on pourra cultiver du quinoa en Europe. De même pour des tomates, si elles viennent de loin, il faut aussi que je les sélectionne quelques années avant de les cultiver à grande échelle chez moi. Par contre continuer à faire du maïs là où il ne pleut pas quand il a besoin d'eau, ce n'est pas très malin. On ne peut pas faire pousser n’importe quelle plante n’importe où. Les deux outils indispensables du paysan qui produit ses semences sont donc le droit de re-semer une partie de sa récolte et le droit d'échanger des semences avec d'autres paysans.

L'échange de connaissances

Les connaissances et innovations paysannes, c’est aussi quelque chose de collectif. Il y a un élément essentiel qu'on oublie souvent quand on définit les semences paysannes : il y a bien sur le végétal et le terroir, mais aussi le mode de culture, les soins apportés au végétal, à sa reproduction et au terroir par la communauté humaine locale. Les connaissances des paysans définissent ces soins. Elles sont traditionnelles, héritées de nos parents et grands parents, de millénaires d'agriculture, elles sont aussi modernes, notamment l'agroécologie paysanne... Nos connaissances évoluent en permanence et elles ne sont pas individuelles. Elles sont collectives, par héritage de nos anciens – on les transmettra à nos enfants - et par les échanges avec d'autres paysans. Aujourd'hui il y a quelque chose d'extraordinaire pour ces connaissances avec la circulation de beaucoup d'informations sur internet. Mais il faut faire la différence entre information et connaissance. Quand je vois sur internet qu'un paysan africain a fait quelque chose, cela me donne une idée. Mais si je reproduis ce qu'il décrit, cela ne marche pas. Par contre je peux communiquer avec lui, éventuellement aller voir ce qu'il fait, comment et où il le fait. Cela me permet de prendre en compte les différences entre nos terroirs et nos mode de culture respectif et je peux ainsi adapter les connaissances qu'il me transmet à ma réalité locale,à mon terroir et à mon climat. Ne vous imaginez pas que l'on transmet des connaissances par internet : on transmet des informations, des données, des adresses... On peut alors aller voir des gens, car la transmission des connaissances nécessite un contact humain de personne à personne et qu'on aille voir les plantes, les animaux, les écosystèmes qui sont tous différents les uns des autres.

La protection des semences et des connaissances paysannes

Marc disait « tout ce qu'on fait, nos amis peuvent le récupérer ». Mais je m'inquiète de la récupération de nos valeurs, de nos mouvements sociaux, de nos slogans, de nos connaissances..., par l'industrie qui s’en sert pour imposer un nouveau cadre juridique qui menace de détruire les semences paysannes. De multiples messages parlent de « semences libres », de « semences open source », « biens communs » ou « communs »..., c’est bizarre parce que l'industrie reprend ces slogans-là pour promouvoir ses propres projets. Si les semences OGM sont libres, elles contaminent les semences paysannes et si l’industrie s’approprie les semences paysannes en revendiquant des brevets sur leurs gènes ou les informations génétiques qu’elles contiennent, cela va nous détruire. Les semences paysannes ne vivent pas dans une bulle séparée des autres semences commerciales et industrielles, des OGM et des pesticides. Dans mon champ on trouve du Roundup : en Bretagne, la station météorologique de Rennes a constaté  qu’au printemps l'eau de pluie en contenait plus que ce qui est autorisé dans l'eau potable. Car au printemps, lorsque tout le monde épand du Roundup dans les champs, les ¾ partent dans l'air et comme les vents viennent de l'ouest, il pleut du Roundup à Rennes. Personne n'est pas à l'abri dans une bulle. Au niveau social et politique, on est aussi obligés d'agir au sein des cadres techniques et juridiques qui sont autour de nous. Si on veut développer des semences paysannes, il faut que les paysan aient des droits écrits dans la loi, notamment les droits de produire, de conserver, d’utiliser, d'échanger et de protéger ses semences. L'outil indispensable pour que les semences paysannes existent, ce sont ces droits et non la liberté du commerce. Ces droits sont collectifs car aucune production durable de semences paysannes n’existe sans échanges et aucun paysan ne peut échanger tout seul. Ce sont des droits collectif d'usage et non de propriété : les paysans ont le droit d’utiliser leurs semences et de les échanger.

Quelle productivité ?

Chez nous, les semences paysannes c'est 2 ou 3 % des semences utilisées au niveau national. Au niveau mondial, 75 % pour cent de la nourriture disponible sur la planète sont issus des semences paysannes, de l'agriculture dite vivrière, familiale... Cette agriculture est très productive. Ces 75% de nourriture sont en effet produits sur un quart des surfaces cultivées. Quand certains disent que l’agroécologie paysanne n'est pas productive, il faut être attentif au sens des mots. Moi je parle de productivité à l'hectare, ce que l'on peut produire par unité de surface avec les ressources locales, et non pas de la productivité par unité de travail humain avec un usage immodéré de ressources fossiles et de pesticides. Effectivement, les semences paysannes demandent plus de main d’œuvre, mais ce n'est pas un souci compte-tenu des millions de paysans sans terre et du taux de chômage actuel… Face aux semences paysannes, on a le système qui a été décrit hier de manière très pédagogique par Christophe Bitoun, celui de la révolution verte, qui repose sur la sélection de la variété élite en dehors du champ du paysan, sa reproduction à l'identique et l’éradication des « hors type ». Si on implante partout la même semence qui n'a pas été sélectionnée dans le champ où elle est cultivée, la plante n'est pas adaptée à ce champ. Il faut alors adapter le champ à la plante élite avec les engrais et les pesticides – c’est-à-dire remplacer l’énergie du travail paysan par des énergies fossiles et les produits de l'industrie chimique. Et il y a de vrais soucis à se faire avec l’énorme gaspillage d’énergie fossile et de pesticides indispensables pour augmenter la productivité par unité de travail humain.

Le système juridique de la variété

Le système juridique qui a été mis en place en France et en Europe est basé sur un droit de propriété intellectuelle privé, le Certificat d’Obtention Végétale sur la variété. Pour bénéficier de ce droit, la variété doit être distincte, homogène et stable, tout sauf ce qui est varié ! Une variété ne concerne pas une plante, mais un groupe de plantes. Mais une variété homogène et stable, cela n'existe pas dans la réalité. En faisant un parallèle avec les humains, dans une famille, tous les enfants se ressemblent, mais il n'y en a pas deux qui sont pareils, il n’y a pas d'homogénéité. Dans la salle, même si on se ressemble tous plus ou moins parce qu’on fait partie de la même population, on est tous différents. Les plantes c'est pareil. La variété homogène, cela n'existe pas, ce n'est qu’un concept juridique déconnecté de la réalité, et la stabilité existe encore moins. Pour les semences paysannes, on revendique leur diversité qui s’oppose à l’homogénéité, leur capacité d'adaptation permanente qui s’oppose à la stabilité.

Derrière le certificat d'obtention végétale, se rajoute le catalogue – liste des variétés dont les semences sont autorisées à la vente. Si ta semence n'appartient pas à une variété homogène et stable qui peut être protégée par un Certificat d’Obtention Végétale, tu n'as pas le droit de la vendre. Seule la semence industrielle qui est protégée par un droit de propriété privé a accès au marché. Cela pose un problème aux paysans qui ne peuvent pas vendre leurs semences, mais aussi à l'industrie car elle n'a jamais sélectionné des plantes à partir de substances chimiques, même si elle prétend que demain elle le fera au laboratoire avec la biologie de synthèse. Pour sélectionner des semences, il faut avoir accès à des semences. L'industrie a sélectionné toutes ses semences à partir des semences qui avaient déjà été sélectionnées par des générations de paysans. Ce qu'elle appelle des ressources phytogénétiques, ce sont des semences paysannes. Et si l'industrie n'a plus accès à de nouvelles ressources phytogénétiques parce qu’elles sont interdites, elle ne peut pas sélectionner de nouvelles semences.

L'industrie sait aussi qu'elle ne peut pas vendre des semences à des paysans qui n'ont pas les ressources financières pour les acheter avec les engrais et les pesticides indispensables à leur culture. C'est 75% de la nourriture de la planète qui est produite par ces paysans qui n'achètent pas de semences industrielles. On vote des lois pour les leur imposer, mais ils ne vont pas les acheter. Le catalogue ne s'est jamais imposé à cette agriculture vivrière. C'est d’ailleurs écrit dans les lois françaises et européennes, le catalogue ne s'impose qu'à la commercialisation de semences « en vue d'une utilisation commerciale de la variété ». La culture vivrière n’est pas une utilisation commerciale. En France, on l’appelle le jardinage amateur, mais en Afrique c'est 90% des surfaces cultivées.

Un nouveau cadre juridique ?

L'agriculture industrielle est arrivée au bout du rouleau : il y a les impasses biologiques des engrais et pesticides chimiques qui marchent de moins en moins bien et aussi le refus sociétal car ils nous empoisonnent de plus en plus. Par ailleurs, l’industrie a, depuis 50 ans, croisé toutes les plantes qu'elle a collectées dans les champs des paysans de toute la planète. Le réservoir de nouvelles semences pour faire de nouveaux croisements s’épuise. L’industrie cherche alors à bricoler les gènes au lieu de travailler sur des plantes entières. Sur les gènes, elle va corriger un « petit défaut » afin de rendre sa nouvelle plante plus « intelligentes » puisqu’elle produit elle-même l’insecticide qu’on n’a plus besoin d’épandre. Mais cela produit ensuite une catastrophe plus grande qu’elle devra ensuite réparer... C'est comme le problème énergétique, est-ce que la solution c'est de trouver de nouvelles manières non durables de fabriquer de l'énergie, avec de nouveaux fossiles, la biomasse, des champs de capteurs solaires..., ou simplement de ne plus gaspiller l'énergie ?

De quoi ont besoin les semenciers ? Aujourd'hui, ils ont séquencé toutes les ressources phytogénétiques stockées dans les banques de semences. Entre 1999 et 2010-2011, le coût du séquençage génétique a été divisé par 100 000. Et le temps nécessaire est passé de 10 ans à quelques jours pour faire un séquençage simple, ou à quelques mois si on veut un séquençage plus complet. Mais à quoi sert la connaissance des gènes ? Ce n'est pas en les manipulant dans des boites de Pétri qu’on va découvrir quel gène – ou quel ensemble de gènes –  va résister aux changements climatiques. Qui a aujourd'hui la connaissance des plantes qui s'adaptent aux changements climatiques ? Il n'y a que les paysans qui les voient émerger dans leurs champs. Donc pour savoir où chercher les nouveaux gènes liés à cette adaptation, l'industrie a besoin d'avoir accès aux connaissances des paysans. Et ce besoin de l’industrie fait que l'on voit apparaître un nouveau système juridique.

Les semences, l’industrie en a des millions dans ses collections et les nouveaux gènes qui apparaissent dans nos semences sont pour la plupart déjà présents dans ces semences – un gène n'étant pas la plante entière. La plante entière qui pousse dans mon champ n'est par contre pas dans les ressources génétiques dont dispose l'industrie. Les gènes intéressants qu’elle contient et qui sont liés à une résistance à une maladie ou à un insecte sont déjà dans d'autres plantes, mais l’industrie ne sait pas à quoi sert chacun d’entre eux. Les gènes, c'est quelque chose d'universel qui s'organise différemment dans chaque organisme. A partir du moment où l'industrie a accès aux séquences génétiques de toutes les plantes qui existent et en même temps à nos connaissances qui vont lui apprendre que telle plante résiste, par exemple, à tel insecte, ses ordinateurs lui permettent d’établir le lien entre la capacité de cette plante à résister à cet insecte et une séquence génétique particulière. C’est ce qu’on appelle une information génétique. Elle revendique alors un brevet portant sur cette information génétique. Et ce brevet présente pour l’industrie un  gros avantage par rapport au certificat d’obtention végétale sur la variété. D’abord, on peut identifier la séquence génétique brevetée jusque dans votre assiette. Alors que la variété stable et homogène couverte par un Certificat d’Obtention Végétale, on ne peut même pas l'identifier dans la récolte, les grains de variétés différentes se ressemblent trop. Seule la plante entière permet de l’identifier. On a donc, avec les brevet sur le gène ou l’information génétique, un marqueur de la propriété intellectuelle privée, qui est extrêmement efficace jusque dans les rayons des supermarchés. De plus la portée d’un brevet sur une information génétique ne se réduit pas aux plantes issues de l’invention brevetée. Elle s’étend à toutes les plantes qui contiennent cette information génétique, y compris celles qui existent depuis longtemps chez moi, chez d’autres paysans ou chez d’autres semenciers. L’accès à mes connaissances et à mes semences permet donc à l’industrie d’identifier quelle plante résiste à tel insecte dans mon champ et de revendiquer un brevet sur cette information génétique. La portée de ce brevet s'étend à mes semences que je ne peux alors plus utiliser dans mon champ. Avec ces brevets, l’industrie peut s’approprier toutes les ressources génétiques qui existent. La capacité de verrouillage de cette propriété intellectuelle est immense.

Avec ces brevets, l’industrie n’a par ailleurs plus besoin de l’homogénéité et de la stabilité de la variété pour garantir sa propriété intellectuelle. C’est essentiel pour elle car, quand elle a multiplié des cellules de plantes dans une boite de Pétri, elle n'arrive plus à stabiliser rapidement les plantes réelles qu’elle régénère à partir de ces cellules. C’est pourquoi elle ne veut plus de la variété homogène et stable. Nous non plus, mais pas pour les mêmes raisons. Aujourd'hui, l’industrie déconstruit le système juridique du catalogue dont elle n’a plus besoin car pour homogénéiser et stabiliser une plante issue de multiplications cellulaires, il faut plus d’une dizaine d'années en moyenne. Si elle peut en vendre les semences tout de suite avec un brevet, le retour sur investissement est bien plus intéressant. L'industrie a aussi besoin des connaissances des paysans. C’est pourquoi elle leur concède quelques petites niches commerciales pour qu’ils continuent à adapter les plantes aux changements climatiques et à mettre au point les caractères intéressants qu’elle pourra breveter. Le nouveau règlement de l'agriculture biologique a ainsi récemment autorisé ce qu’il appelle le « matériel hétérogène », qui ressemble aux populations non homogènes et non stables que nous faisons.

Biopiraterie libre ou droits des paysans

On voit plein de chercheurs qui viennent dans nos champs, nous proposer des programmes participatifs. On peut trouver un intérêt à travailler avec ces chercheurs. On est beaucoup plus efficace dans nos sélections paysannes grâce à eux. Mais un chercheur est obligé de publier et transmet donc les connaissances qu’il a recueillies. Est-ce que nous paysans, nous devons transmettre nos connaissances à l'industrie pour qu'elle fasse des OGM, ou dépose des brevets sur les informations génétiques contenues dans nos semences paysannes s ? Lorsqu'on parle de « semences libres », cela ne m'intéresse pas beaucoup, car il faut réguler les marchés si on ne veut pas laisser toute la place aux sociétés transnationales et aux OGM. Je ne veux pas des semences OGM libres. Lorsqu'on parle de semences paysannes « open source », cela ne m’intéresse pas non plus car cela facilite l’accès de l'industrie à mes semences qui déposera des brevets sur les informations génétiques qu’elles contiennent. Or, contrairement aux logiciels « open source », je n’ai aucun moyen juridique à ma disposition pour empêcher cette biopiraterie. On nous parle aussi de « communs » et de semences devraient appartenir à tout le monde depuis le champ jusqu'à l'assiette. Cela ressemble à ce que le président de la République est en train de faire en ce moment : supprimer les prérogatives du Ministre de l'agriculture pour que ce soient les interprofessions qui commandent. Il y a certes des paysans dans les interprofessions, mais entre le champ et l’assiette, il y a aussi la transformation agroalimentaire et le négoce. Et depuis que les interprofessions existent, elles ont toujours eu pour but de mettre la profession des paysans derrière le négoce et l’agroalimentaire qui contrôlent seuls les filières.

Les semences paysannes sont produites, échangées et vendues par des paysans. Quelqu'un qui multiplie des semences paysannes dans des parcelles industrielle en dehors des champs des paysans transforme ces semences et, à la fin, ce ne sont plus des semences paysannes. Seuls les paysans devraient déterminer qui a le droit d’accéder librement à leurs semences et dans quelles conditions il peut les utiliser ou les vendre.