Passer de l’agriculture conventionnelle à l’agriculture bio
Par Daniel Evain
Retranscription
Mon parcours
Monsanto a acheté Cargill, dans les années 90. Après 2 ans dans cette entreprise, je suis parti - et vous pouvez imaginer la raison - pour reprendre la ferme familiale qui se situe à Dourdan dans l'Essonne. Une ferme où mon père, arrivé en 1958 en tant que fermier, a cultivé comme tous les agriculteurs de l'époque en utilisant des engrais chimiques et des pesticides, en achetant du matériel toujours un peu plus grand pour gagner en « productivité ». Et quand j'ai repris la ferme en 2000, j'ai initié une conversion à l'agriculture biologique. D'abord parce que je n'avais pas envie de manipuler des produits chimiques, et puis je voulais retrouver de l'autonomie. On était arrivé dans les années 2000 à un système où l'agriculteur ne faisait plus qu'obéir aux injonctions du conseiller de la COOP qui disait Tu prends telle semence, tel bidon de pesticides... et l'agriculteur était dépossédé de sa technicité et de sa compétence propre. Également mon père avait fait un constat, comme je l'avais fait aussi, d'une perte très forte de matière organique dans les sols. Je me souviens des premières fois où j'ai cultivé ces sols, on labourait et on passait avec une herse rotative juste avant le semis. Et au bout de 40 ou 50 hectares, je constatais qu'il n'y avait presque plus d'acier sur les dents de la herse. Le sol était redevenu minéral, il n'y avait plus d'humus. Ce sont des sols qui sont sablo-limoneux et vous avez ainsi une usure du matériel agricole qui devient extrêmement importante. Le fait d'avoir beaucoup de matière organique vous rend le sol plus souple et permet d'user beaucoup moins le matériel.
Le changement d'agriculture
Je vais parler maintenant du passage de l'agriculture conventionnelle à l'agriculture bio, en faisant l'impasse sur la culture paysanne, et en prenant principalement ces deux modèles. Je vais parler du constat que j'ai pu faire, ainsi que mon père et d'autres paysans, sur l'échec de l'agriculture conventionnelle et de la manière dont elle est pratiquée. Mon père disait toujours On fait trop de paille. Pour lui, cela voulait dire, « trop de paille », qu'on était reparti sur des systèmes trop simplifiés avec un assolement triennal colza-blé-blé ou colza-blé-orge. On n'avait plus que des cultures d'hiver, des rotations extrêmement courtes. Et qui dit culture d'hiver dit très peu d'alternance ; vous partez toujours sur les mêmes matières actives, la même façon de conduire les cultures, et vous avez des problèmes d'enherbement car vous avez toujours les mêmes herbicides —donc des problèmes de résistance— et des problèmes de maladie car vous avez des cultures peu diversifiées. Quand mon père a commencé à cultiver sur la ferme en 1958, il y avait du trèfle, de la féverole, des pois, du blé, du triticale, de l'avoine, du maïs et de la betterave ; donc beaucoup de cultures différentes. Avec la réforme de la PAC en 1992, l'Europe a orienté les agriculteurs vers le choix de cultures qui étaient subventionnées, qui fait qu'ils ont été vers des cultures « plus rentables » et se sont retrouvés avec ces assolements pauvres colza-blé-orge. Et qui a conduit à une dégradation des sols et des problèmes d'enherbement, de pollution de l'environnement, etc. Quand les responsables agricoles se sont rendu compte de cela, certains ont essayé de chercher d'autres voies que l'agriculture intensive ou industrielle. Comme l'agriculture raisonnée, qui a été un échec total, ceci pour plusieurs raisons. La première, c'est qu'il n'y avait pas de changement de pratiques. A part celui d'aller dans le champ pour observer —beaucoup d'agriculteurs le faisant déjà avant—, de noter les constatations, vous pratiquiez ensuite un raisonnement : est-ce qu'il y a suffisamment d'insectes, suffisamment de mauvaises herbes pour pouvoir déclencher un traitement ou pas. Déjà beaucoup d'agriculteurs le faisaient intuitivement, mais là en plus « il fallait l'écrire ». Et au moment de la récolte, lorsque vous arriviez à la coopérative avec votre remorque, vous disiez Je suis en agriculture raisonnée, cela vaut plus cher. Et le responsable du silo me disait Tu fais comme les petits copains, tu vides dans la benne et tu seras payé comme tout le monde. A partir du moment où il n'y a pas de différentiel de prix, et si cette nouvelle voie ne peut pas être valorisée, cela ne peut pas marcher. Pour qu'une filière puisse se développer, il faut qu'il y ait une valorisation derrière. Et aujourd'hui, la seule valorisation qui marche, c'est l'agriculture biologique. On voit aussi d'autres initiatives qui se développent, comme « zéro pesticide ». Ce que je constate avec ce nouveau label, c'est qu'il n'y a pas de transparence ; les gens vous garantissent « zéro pesticide » mais le zéro c'est quand même 0,01 écrit en tout petit avec un astérisque. Comme le problème posé par les pesticides, ce n'est pas forcément la dose, mais le fait d'être exposé à la matière, même si c'est 0,01 % cela peut être suffisamment toxique. La seule voie au changement à cette agriculture intensive et industrielle qui semble fonctionner, c'est l'agriculture biologique.
Comment on peut changer ?
Celui qui est en circuit court, ou qui vend directement son produit au consommateur, n'a pas trop de problèmes pour changer. Il peut pratiquer l'agriculture biologique et apposer le label, mais peut aussi communiquer directement avec le consommateur : je n'utilise plus d'engrais, de pesticides, etc. Si le consommateur adhère à sa démarche et le croit, cela peut fonctionner. Par contre, pour la plupart des agriculteurs, on est dans des circuits beaucoup plus longs, en céréales, en lait, etc. Et là c'est plus difficile de décider de changer tout seul, si la filière ne vous suit pas, cela ne peut pas fonctionner. Vous pouvez être dans une démarche en agriculture biologique —par exemple vous produisez du lait en bio— et quand le laitier arrive, s'il a collecté avant vous chez un éleveur en conventionnel, il va prendre votre lait mais vous serez payé en conventionnel. Le changement ne peut pas se faire tout seul de la part de l'agriculteur mais aussi de l'ensemble de la filière. Et cela doit aller aussi jusqu'au consommateur qui lui aussi devra changer. Dans ce changement, il y a tout d'abord celui des mentalités. On voit aujourd'hui les consommateurs commencer à changer, mais lorsque j'ai initié ma conversion en bio en 2000, mon activité étant maraîchage et céréales, je vendais mes légumes sur un marché à Orsay dans l'Essonne. Quand j'ai mis mon logo AB, j'ai perdu 20 % de chiffre d'affaires – c'était en 2003-2004. Pourquoi, parce qu'à cette période les consommateurs n'étaient pas encore éduqués ou n'avaient pas encore compris quel était l'intérêt de la bio. Et quand ils ont vu le logo AB, pour certains ils se sont dit Cela va être beaucoup plus cher, sans avoir regardé les prix – sachant que je ne les avais pas augmentés. Et puis d'autres avaient l'impression de rentrer comme dans une secte : On va aller chez les bio, c'est des gens qui ont des grandes barbes, etc. Les mentalités ont changé depuis. Après cette baisse de 20 % de mon chiffre d'affaires, il a ensuite ré-augmenté de 50 %. Il y a un vrai engouement aujourd'hui pour les produits bio et c'est un point positif. Côté agriculteurs, il faut changer aussi les mentalités, parce que tout simplement dans l'agriculture traditionnelle, quand mon père s'est installé en 1958, le monde était en développement de partout. On construisait des immeubles, des routes, des voitures, tout « s'améliorait ». Et l'amélioration dans l'agriculture, c'était les engrais chimiques et les pesticides. Ne plus se baisser pour désherber, cela devenait un progrès. Le symbole du progrès, c'était l'agriculture chimique. Quand je me suis mis en bio en 2001, à la Chambre d'Agriculture, j'ai eu des réflexions comme le bio c'est le retour en arrière, c'est l'agriculture de nos grands-parents. Une des difficultés, c'est de faire changer les mentalités, de faire comprendre aux agriculteurs que le bio c'est du progrès. Alors que pour beaucoup c'est de la régression et que le progrès c'est les pesticides. Je prendrai pour exemple : pour un agriculteur, un travail bien fait et qu'il soit satisfait comme tout un chacun dans son métier, c'est que son champ de blé il est « nickel ». Il n'y a pas un épi qui dépasse et pas une herbe. Et en plus s’il y avait une haie qui gênait un peu pour pouvoir tourner, cela faisait une tournière de plus. On a supprimé la haie et ainsi le champ est alors plus grand, là c'est « nickel... ». Des champs « tout grands, tout beaux », pas un insecte, par un brin d'herbe, pas une maladie, ça c'est du travail parfait... Il faut arriver à faire comprendre aux agriculteurs que des haies, c'est de la biodiversité et des refuges pour des auxiliaires, des coccinelles, des syrphes, etc., c'est quelque chose d'important qui va nous aider à produire. S’il y a un peu d'herbe dans le champ, cela peut amener de la biodiversité. Bien évidemment il ne faut pas qu'il y en ait de trop. S’il y en a beaucoup, il faut gratter. La biodiversité, elle a une certaine limite car après si on ne produit plus, nous on ne vit plus. On a besoin de produire pour vendre du grain ou du légume et afin d'arriver à « sortir un revenu ». Faire rentrer le bio dans la modernité, c'est important, et les agriculteurs doivent le comprendre.
Le machinisme
Il y a des éléments aujourd'hui qui nous aident, c'est le machinisme. J'ai travaillé avec l'Atelier Paysan, mais je ne partage pas complètement l'avis de Fabrice Clerc sur le sujet, même si il faut éviter le gigantisme. En bio, les industriels nous ont permis aussi de progresser, comme le guidage par caméra pour certaines bineuses, par le développement de certains outils comme la houe rotative. Quand j'ai commencé en bio, il n'y avait que la herse étrille qui est un immense râteau avec plein de dents souples qui vous permettent de gratter la terre et de supprimer les petites plantules, quand elles sont au stade de cotylédon ou de feuille. Vous pouvez le passer dans du blé lorsqu'il est suffisamment ancré— lorsqu'il a trois feuilles. C'est un outil un peu délicat à manœuvrer, mais cela brasse toute la terre et supprime toutes les mauvaises herbes. Sauf que comme j'ai des terres sablo-limoneuses, qui ont tendance à se refermer et à être un peu froide, lorsque vous passez la herse étrille, cela fait un trait sur le sol et les herbes elles « rigolent ». Au moment de la récolte, il y a plein de matricaires, de chénopodes, et passer la moissonneuse-batteuse ce n'est pas très évident. Cela sent plutôt l'herbe coupée que le blé coupé. Des outils développés, comme la houe rotative, ont permis de piocher plus dans le sol, de l'aérer, de pouvoir passer la herse étrille après. Aujourd'hui, avec le développement de bineuses, on bine toutes les céréales et on a beaucoup moins de problèmes de désherbage : on réussit plus facilement nos cultures. Le machinisme a permis de donner une image moderne de la bio, parce que beaucoup de gens avaient cette idée que la bio, c'est la binette à main. Quand j'ai commencé en bio, on utilisait des échardonnettes. On avait été voir les anciens, savoir comment on supprimait les chardons, pour retrouver un savoir-faire. Ce sont des outils composés d'un manche avec en bout une petite lame pour couper le chardon à la base. J'avais une équipe d'une dizaine de saisonniers pour supprimer les chardons avec l'échardonnette et un sac pour enlever les rumex. Il y a deux types d'herbes qui nous gênent en grande culture, c'est les vivaces et surtout les chardons et les rumex. Aujourd'hui on a des écimeuses, qui nous permettent de réduire de manière importante les chardons. Pour les éliminer, c'est l'assolement, notamment avec de la production de luzerne qui diminue fortement les chardons.
Le changement des mentalités
Concernant les changements de mentalité, on a parlé de la filière. Mais le deuxième blocage concerne la profession agricole. A mes débuts, il y avait une forte opposition de la profession agricole au développement de la bio. Quand je me suis converti, il y avait un système d'aide qui s'appelait les Contrats Territoriaux d'Exploitation. Et je me souviens que l'argent qui avait été mis dans le développement de la bio avait été pris sur le montant des aides PAC. Et les agriculteurs disaient que le « bio prenait » l'argent destiné aux agriculteurs conventionnels. Lorsque je parle de la profession, pour être direct, je parle essentiellement de la FNSEA. Ainsi beaucoup d'agriculteurs bio sont allés à la Confédération Paysanne, parce qu'ils avaient un accueil plus facile. Et dans ce changement de mentalités, il y aussi les groupes de communautés. Beaucoup d'agriculteurs avaient du mal à aller vers le bio, car il y avait une véritable hostilité de la part de la FNSEA au bio. Je me souviens, dans les années 2000-2005, le président des Jeunes Agriculteurs d'Ile-de-France qui avait dit devant le directeur départemental de l'Agriculture : Moi je tiens mes troupes, il n'y a pas un seul JA qui va se convertir au bio. Le message était clair : pour eux les JA, l'agriculture c'est la conventionnelle, le bio c'est des c... et il n'y aura pas un seul jeune qui va s'installer en bio. Aujourd'hui, cela a changé, mais pour aller vers l'agriculture bio, ces agriculteurs conventionnels se disent si on va vers le bio, on va perdre tous nos copains. Dans les réunions des JA, ils s'échangeaient des informations sur quel pesticide tu utilises, quel engrais... Et celui qui voulait faire du bio, il prenait le risque d'être exclu du groupe. Aujourd'hui, cela a beaucoup changé même si il y a encore une hostilité qui reste.
Le passage du conventionnel au bio amène à un changement de compréhension. En conventionnel vous nourrissez la plante directement par des engrais directement assimilables par elle, et de même avec les pesticides. En bio, ce n'est pas la plante que vous nourrissez c'est le sol. Car quand vous allez amener de la matière organique, elle doit d'abord être digérée par les micro-organismes du sol, qui vont la stocker sous forme d'humus et autres. Et ensuite, c'est d'autres organismes qui vont dégrader cet humus qui sera restitué à la plante. Et de la même manière, si en conventionnel vous faite du curatif —vous observez la maladie et vous utilisez un pesticide pour la tuer— en bio vous faite du préventif principalement, avec très peu de curatif. Cela va avoir une incidence sur le matériel agricole. Comme vous ne faites plus de curatif, le pulvérisateur vous n'en n'avez plus besoin. Passer au bio, cela implique un changement dans le machinisme agricole. Vous allez vendre votre pulvérisateur qui est un outil qui coûte relativement cher, et vous allez acheter un kit de désherbage au sol, une bineuse, une herse étrille, une houe rotative, etc., en fonction du sol que vous avez.
La conversion
Il y a plusieurs manières de la faire. Personnellement, je l'ai faite sur 4 ans, car je ne me sentais pas capable en un an de tout convertir car il faut avoir une bonne expérience. En 2000, on n'était que 5 paysans dans l'Essonne, étant le cinquième. Les expériences autour de vous ne sont pas nombreuses. Tout basculer du conventionnel au bio la même année, cela présente de gros risques et je n'ai pas osé. A cette époque aussi, il y avait des changements de gouvernement, et pendant deux ans, de 2002 à 2004, j'ai été privé d'aides par le ministère de l'Agriculture : il n'y en avait plus pour la conversion au bio. Et quand vous regardez les courbes de conversion au bio, vous voyez qu'en 1998, avec les premières aides, des agriculteurs se convertissent ; en 2002 il y a un plateau et cela reprend en 2004. Et depuis, cela continue à progresser. Il faut également un financement. Car quand vous vous convertissez, les 2 ou 3 premières années, vous produisez en bio, mais vous avez des rendements plus faibles et vous vendez au prix du conventionnel. Cela implique une baisse de revenu ; il y des aides qui permettent de compenser ces pertes. Aujourd'hui, je peux affirmer que le niveau d'aide est suffisant pour passer ce cap. Il y a plus de problèmes de financement car, du fait de l'engouement de la conversion au bio, il pourrait y avoir au moins des retards de paiement car l'argent n'est pas toujours disponible ou budgété suffisamment.
Dans le changement de matériel, vous pouvez vendre le semoir à engrais, mais il faudra généralement un épandeur de fumier. Mais comme c'est un outil que l'on utilise peu, soit on l'achète en commun, soit on fait du prêt de matériel. Par contre, la bineuse ou les outils de désherbage du sol, vous êtes contraint de les avoir en propriété propre car les périodes d'interventions sont courtes. Et quand vous avez un créneau et que c'est à ce moment-là que vous devez intervenir, il vaut mieux ne pas attendre qu'un autre utilisateur libère le matériel pour intervenir.
Les filières
Sur les conséquences, des filières qui doivent changer pour valoriser ces productions bio, on a des problématiques de séchage. Car quand vous produisez du tournesol, du maïs ou du sarrasin, il faut sécher ces produits et vous ne pouvez pas utiliser les séchoirs pour l'agriculture conventionnelle. Parce qu'en agriculture conventionnelle on a des flammes directes ou qui fonctionnent au fuel ; et cela est interdit en bio. Je me souviens en ayant fait du sarrasin, au moment de la récolte, de ne pas pouvoir le valoriser car vous n'avez pas de séchoir. Et donc il faut contacter la coopérative qui est à Blois, à 200 km, pour organiser un enlèvement par camion au moment de la récolte —car le sarrasin au bout de deux jours, il va pourrir et on ne peut pas le stocker. En fonction des camions de disponible, il faut récolter le même jour que lorsque le camion arrive : donc un peu complexe à mettre en place.
Il y a de plus en plus d'agriculteurs bio qui s'installent en Ile-de-France. Les coopératives commencent à s'équiper en séchoir, en silo, etc. Et cela va aider à développer la production. Mais il y a un vrai problème de filière, même si cela commence à se résoudre, avec l'augmentation des producteurs bio. C'est la première année qu'il y a une filière de betteraves bio qui permettra de trouver du sucre bio produit en France. Le souci, c'est que le process de fabrication de la betterave fonctionne en continu. Et quand vous lancez l'usine, cela ne peut pas s'arrêter. Et si vous mettez de la betterave conventionnelle puis de la bio, vous ne savez pas trop le moment où le sucre devient bio à la sortie. Donc si vous voulez être sûr, il faut démarrer par mettre du bio, et au moment où vous allez commencer à mettre du conventionnel, vous allez décider suffisamment tôt que le sucre qui sort n'est plus bio. Ensuite, il y aura un mélange de bio et de conventionnel, mais il sera considéré comme du sucre conventionnel, ce qui n'est pas très grave.
La fertilisation
Un problème important, c'est la fertilisation organique. Marc Dufumier parlait tout à l'heure de la Bretagne. Mais en Ile-de-France, le problème est que l'on n'a plus de matières organiques, plus d'élevages. Et les fientes de volailles, je dois les importer de Bretagne ou parfois de Belgique. Cela reste un souci, et pour la bio il faudrait de l'élevage sur place. Il y a bien de l'élevage de chevaux et je récupère bien du fumier.
Marc a parlé de l'importance du non-labour. Et j'aimerais rappeler pourquoi le labour existe depuis toujours : c'est une technique de désherbage. En bio, on utilise beaucoup le labour, mais le plus superficiel possible pour ne pas trop perturber le sol. On a des charrues qui labourent une petite bande de terre en 12 pouces plutôt qu'en 16 ou 20 pouces, pour ne pas piocher trop profond, et cela reste une technique de désherbage. Ce que l'on aimerait, c'est d'aller vers le non-labour pour être plus performant sur le plan agronomique et réunir ces deux techniques, la bio et le non-labour. Aujourd'hui il y a des oppositions entre les deux approches, parce que notamment en parallèle les gens du non-labour utilisent du glyphosate. C'est un plus le non-labour, mais c'est un moins car il y a utilisation d'un produit chimique. Ce que j'aimerais, c'est que la recherche agronomique se lance à fond dans cette problématique. Pour deux raisons : parce que nous on en a besoin, et en espérant que le glyphosate soit interdit. Les agriculteurs du non-labour ont fait un pas positif par rapport à l'agriculture conventionnelle, mais avec un moins, le glyphosate.
On aurait besoin de la recherche, mais elle est absente sur le sujet. Ceux qui produisent de la recherche, ce sont les paysans. Et quand il y a des gens qui dédient une carrière et des moyens à cela, cela nous aide. C'est effectivement nous qui faisons le boulot, mais si il y a des gens qui réfléchissent et qui travaillent un peu plus à ces problématiques, cela va aider.
L'avenir
Est-ce que le bio a de l'avenir ? Je pense que oui. Après une longue phase d'observation, suite au passage de mes premières parcelles en bio en 2000 —on n'était que 2 alors sur le secteur de Dourdan –, après beaucoup de dénigrement de la part de gens qui pensaient que nous allions nous « planter », qu'il y allait avoir de l'herbe partout dans nos champs et que l'on allait revenir au chimique, les agriculteurs se rendent compte que ce n'est pas le cas. Et il y a des fermes qui sont rentables aujourd'hui. Personnellement, depuis deux ans, j'ai plus de voisins en bio qu'en conventionnel. Il est vrai que des agriculteurs se sont convertis car les prix des céréales conventionnelles ont chuté et qu'ils ont constaté les problèmes de résistances en système conventionnel. Un voisin qui s'est converti en mai dernier, malgré que les prix des céréales conventionnelles remontent, ne regrette pas parce ce qu'il est content d'être passé en bio. Lorsque vous semez votre blé et que vous êtes en bout de champ et qu'il n'y a plus trop de semences dans le semoir et qu'il faut aller l'étaler pour qu'il se répartisse correctement dans tous les sillons, en conventionnel vous prenez des précautions. Comme il peut y avoir des nicotinoïdes, des traitements, vous êtes obligé de prendre un masque, des gants pour répartir les semences. Alors qu'en bio, vous y allez avec la main et moi qui adore croquer un peu de blé, vous en prenez un peu et vous mâchouillez pendant deux heures comme un chewing-gum ; et bien c'est super-agréable. Cela c'est un vrai plus. Quand vous avez goûté à ne plus avoir de masque, je ne pense pas que les agriculteurs reviennent en arrière. Est-ce qu'il va y avoir un point d'équilibre à 20 ou 30 % de la part du bio ? Je pense que c'est un mouvement de fond, que cela ne va pas s'arrêter, soit sous des appellations bio, cultures paysannes, ou d'autres labels. Mais une seule interrogation, c'est la diminution, de par beaucoup des consommateurs, des produits carnés et issus de l'élevage, lait, etc., qui va diminuer la source de matière organique pour nous et réduire les débouchés pour nos productions. Car en bio on va produire moins de blé, plus de céréales secondaires et plus de protéagineux à destination des animaux. Si les gens ne veulent plus consommer de produits animaux, de lait, d'oeufs, etc., cela va coincer. Il faut cibler toute la production agricole tournée vers l'alimentaire et arrêter toutes les bêtises vers l'industrie comme le diester, l'éthanol, etc.
Notes
L'atelier paysan : https://www.latelierpaysan.org/