Thématique des assises
Lancé en mai 2015, le « Plan numérique pour l’éducation » se déploie à marche forcée dans les écoles en multipliant les promesses. La pédagogie dite numérique est en effet censée résoudre les difficultés scolaires et faire entrer les élèves dans ce que nous supposons être le monde du XXIe siècle. Promettant l’individualisation des apprentissages là où se déploie une massification dépersonnalisée, relayant l’injonction permanente à innover, à être optimistes, à exceller, à se renouveler, à s'inventer, le numérique s’impose partout. Les dirigeants économiques, intellectuels et politiques ne cessent d’appeler leurs contemporains à céder devant l’impératif du progrès technique, s’en remettant les yeux fermés aux futurologues de la Silicon Valley… sans s’interroger un instant sur le fait que nombreux sont désormais ceux parmi ces derniers qui envoient leurs propres enfants dans des écoles « sans écrans ». Peu importe que le monde souffre de surconsommation de ressources et d’énergie, de pollution généralisée, de l’aggravation des inégalités spatiales et sociales, de l’épuisement des psychismes sous l’effet de l’accélération généralisée. Peu importent les connaissances alarmantes sur les effets néfastes des écrans dans l’apprentissage, l’appauvrissement des savoir-faire, l’affaissement des liens pédagogiques, les inégalités des pratiques face aux techniques, l’infantilisation et l’entrée en force de firmes privées dans l'enseignement public, ou la politique de réduction des effectifs d’enseignants par le numérique à l'heure de l'austérité budgétaire. Dans ce contexte, l’association Technologos, qui s’est donnée comme mission d’interroger et de mettre en débat les choix techniques de nos sociétés, a choisi de consacrer ses 5ème assises nationales à la numérisation de l’éducation au sens large. En croisant le regard d’experts et de praticiens, d’observateurs du numérique et d’enseignants, ces deux jours seront l’occasion d’échanger et de débattre des enjeux du numérique à l'école et dans l'éducation non scolaire – de ses promesses et de ses réalisations, mais aussi de ses dégâts et des moyens d’y résister.
Présentation de Technologos
Par Hervé Le Meur (coordinateur de l'association)
L’association Technologos questionne l’emprise de la Technique sur nos vies. Elle élabore et relaie un discours technocritique en se fondant sur de grands penseurs du passé (Ellul, Illich, Mumford, …), du présent (Bihouix, Rey, Sadin …), ainsi que sur ses propres analyses. Technocritique ne signifie pas un retour à l’âge de pierre ou une opposition à toute technique ! Nous ne nous opposons pas tant à telle ou telle technique qu’à une évolution invasive mécaniste, utilitariste et productiviste, ainsi qu’à son accélération et à la servitude plus ou moins volontaire (et donc une perte d’autonomie) qu’elle entraîne. Nous ne nions pas les aspects positifs ou agréables de certaines innovations que la plupart des médias relaient déjà. C’est le refus d’examiner les conséquences néfastes de ces innovations qui nous incite à essayer de comprendre pourquoi ce côté est nié et quelle idéologie sous-tend ce refus de voir la face obscure de la Technique.
Nous soutenons qu’aucun outil n’est neutre. Discuter d’une technique ne peut donc se restreindre à discuter de son usage.
Notre but est de contribuer à une critique du système technicien en couplant des analyses philosophiques, économiques, artistiques, anthropologiques, …
Nous avons une triple action. D'une part, TECHNOLOGOS organise chaque année des assises dans un lieu institutionnel avec une optique de questionnement de la Technique (Technique et santé, guerre, croissance, …) avec des intervenants militants, praticiens et/ou universitaires. D'autre part, TECHNOLOGOS organise des ateliers d'été destinés à approfondir un point spécifique dans un lieu très militant et dans la mesure du possible avec ses habitants. C’est l’occasion de se retrouver, se découvrir et partager. Enfin chaque groupe local organise de façon autonome des événements dans sa région (débats, projections, …). Dans chaque cas, nous essayons de maintenir un espace de débat démocratique sur des enjeux qui sont trop souvent contrôlés par les seuls experts proclamés ou adoubés par l'Etat, l'Université, ou l'Industrie.
Plus particulièrement, je suis très heureux de présenter ces cinquièmes Assises, consacrées au numérique à l’Ecole, à la numérisation de l’Ecole, et au numérique dans l’éducation selon la distinction faite par Florent Gouget dans son livre Ecole: la servitude au programme.
J’ai eu l’expérience de parler de ces assises en posant une question dans une radio. Il m’a été objecté par les enseignants que l’outil numérique est neutre et donc que seul son usage importe, qu’on ne pouvait pas revenir à l’âge de pierre et que l’Ecole devait préparer les enfants au monde tel qu’il est et ne surtout pas se couper du monde, donc l’intégrer et s’y conformer.
Je ne partage pas ces avis, mais il sera peut-être répondu à ces affirmations. De même, je sais que plusieurs intervenants auront des opinions différentes. C’est notre plus grand plaisir que chacun écoute l’autre avec toute la bienveillance possible. Je suis particulièrement sensible au mot logos, du nom de l’association, car ce n’est pas tant à la capacité de parler qu’il fait référence, qu’à celle d’écouter, qui est plus difficile. Comme d’autres, ici, j’ai des avis sur les questions qui seront débattues, mais je suis plus intéressé de vous entendre et donc de passer la parole à François Jarrige qui a chapeauté/dirigé le comité de préparation de ces Assises.