Les écrans partout : un état des lieux au quotidien
Par Carole Vanhoutte
Résumé
A l'heure où les écrans s'invitent au sein des familles, de nombreux professionnels accueillent de plus en plus d'enfants, de plus en plus jeunes, présentant des troubles allant de l'autisme virtuel à des troubles des apprentissages. Au même titre que les écrans modifient notre mode de vie, ils impactent le développement de l'enfant et les relations qu'il entretient avec le monde humain et physique qui l'entourent.
Pendant qu'un parent, un enfant regarde un écran son regard est captivé par l'image .Cette captation détourne les enfants, les parents les uns des autres. Ils ne se portent plus attention. Cette attention réciproque commence dès la naissance cette relation bébé-parent est indispensable pour que la communication de l'enfant soit soutenue et encouragée. Le parent va avoir aussi un autre rôle, celui d'ouvrir l'enfant au monde physique en lui proposant des objets. Grâce à ses découvertes répétées avec tous ses sens, l'enfant va pouvoir accéder à la fonction symbolique qui détermine le passage d'un langage étiquetage à un langage informatif et par là même conditionne l'entrée dans les apprentissages.
L'enfant qui ne fait plus ou pas assez l'expérience de l'autre, d'objets réels est freiné dans son développement et présentera des symptômes qui nécessiteront une prise en charge adaptée, coûteuse, pluridisciplinaire. De nos jours, beaucoup d'enfants sont rentés dans le soin à cause de l'utilisation précoce, excessive des écrans. C'est pourquoi, la surexposition aux écrans est devenue à mon sens un enjeu de santé publique.
Cette question trouve écho aussi dans les injonctions, les choix dictés par la société toute entière qui inscrivent les écrans dans le passage obligé à la modernité .
Retranscription
Constat
Qui envoie l'enfant chez l'orthophoniste ? Le premier prescripteur c'est l'enseignant, puis les médecins de PMI, les pédiatres, et enfin des parents qui se posent des questions. Le signe d'appel c'est le trouble du langage, et pour être plus précis c'est même une absence de langage. En recevant les parents, ils me disent "Mon enfant de 2,5 ou 3 ans ne parle pas. Est-ce qu'ils vous regardent un peu ? Non et il ne répond pas". Donc pour tous les petits signes de socialisation, le bonjour, l'au revoir, le merci, il n'y a absolument rien. Ce que voient les parents dans un premier temps, c'est l'absence de langage. Ils en concluent qu’il y aura des troubles de l'apprentissage ; un phénomène aujourd'hui bien établi.
Quand ce ne sont que des troubles du langage, quand les mots ne sont pas bien prononcés ou mal organisés, là je vais faire mon travail que je faisais il y a 20 ans. Et cela représente 1% des enfants que je reçois actuellement. Ma formation, reçue il y a 20 ans, ne correspond plus du tout au travail que je fais aujourd'hui. Les enfants ont changé, la société a changé, et on voit maintenant des troubles de la communication - le critère commun aux enfants présentés - et des grandes difficultés de compréhension. En posant une question comme "Comment tu vas ?" la réponse est "Oui". Il a bien saisi quelque chose : s'il y a une question, il apporte une réponse, sauf que ce n'est pas adapté au contexte. En posant la question aux parents des écrans, de l'alimentation "Est-ce qu'il mange bien ? - Non il ne mange que des pâtes". Il y a une sélectivité qui est commune chez tous les enfants, mais les repas ne se passent pas très bien. Il est devant la tablette, avec l'impossibilité de prendre une fourchette car il regarde, il touche l'écran et ainsi ne met pas en bouche. Et ce sont souvent les parents qui donnent à manger aux enfants (de 3 ans jusqu'à 5 et demi). "On ne va pas le déranger car il est train de regarder sa tablette". C'est important, mais manger cela peut-être aussi important. "Est-ce qu'il patouille ?" - car à partir d'un an et demi les enfants touillent, écrasent - "A non surtout pas, cela va salir".
Lorsque l'on parlait ce matin de la construction de l'intelligence, de tout ce qui passe avec et par la main, on est au coeur de cette problématique des écrans. Les écrans empêchent les enfants de faire. Alors qu'est-ce qu'ils savent faire ? Ils savent toucher les écrans, sauf que pour s'organiser, on a besoin de ses deux mains.
Premier tapis d'éveil la bouche. Ces enfants ne prennent plus d'objets ; donc toute cette motricité fine, la pince pouce-index ne s’exerce plus, car les enfants ne prennent plus d'objets réels. Ce n'est pas parce que l'on met un enfant devant une application qui empile des cubes, que l'enfant va être capable de répéter cette opération avec des vrais cubes. Car avec l'écran même si l'enfant met à côté le cube, celui-ci est dévié et l'application le remet en haut de la pile. On conclut : « il empile les cubes », mais dans le réel, il ne sait plus faire cela. Comme le disait Anne-Lise ce sont les interactions humaines avec l'attention conjointe qui sont nécessaires. A partir du moment où le regard est détourné, on a risque de développement du trouble du langage. Si on ne se regarde pas, il n'y a pas d'attention conjointe. Il n'y a pas d'imitation.
Donner du « sens »
Qu'est-ce que nous pouvons faire en tant qu'adulte avec l'enfant, que ne peut pas faire l'écran ? Qu'est-ce qu'on peut apporter à un enfant, faire avec un lui ? Rigoler, chanter, danser, le chatouiller, ... Et pour le petit qui vient de naître, le changer, faire des papouilles, le complimenter, ... Et là, on est déjà en train de l'installer dans son statut d'interlocuteur. "Je sais bien que tu existes et que tu vas te saisir de tout ça, tu n'es pas un spectateur, tu fais partie de ma vie et tu vas pouvoir être un partenaire avec moi". Mais les enfants ils pleurent, ils crient : est-ce qu'il a faim, est-il mouillé, ... Et on a ainsi toute une série d'hypothèses que nous-mêmes en tant qu'être humain nous formulons et c'est comme cela que se construit le sens. Au contraire, si vous mettez votre enfant dans un transat, devant un écran, s’il pleure, l'écran ne va pas s'arrêter en disant "Ah, il bouge, il pleure, il faudrait que ...". Notre capacité, notre rôle en tant qu'humain, c'est d'abord d'accorder du « sens » aux signaux que vont émettre les tous petits. Toujours mettre en « sens » à chaque moment du rapport face à face.
Qu'est-ce que l'être humain va-t-il apporter pour élargir la dyade mère-enfant ? Comment on l'ouvre au monde, comment on introduit les jouets, comment on leur montre quoi faire en disant "Mais c'est drôlement chouette d'être avec des objets". On peut tout faire. Si on prend une cuillère, d'abord l'enfant va taper, puis touiller, tourner - c'est l'imitation différée - et on va l'encourager, l'accompagner dans ses découvertes ; un jour il reprendra sa cuillère et fera comme Zorro. Le constat c'est que 100% des enfants qui viennent chez un orthophoniste n'en sont pas encore à ce stade. On est plutôt au stade de reprendre de la pâte à modeler, de la manger. Et pour faire le lien avec les apprentissages qui nous sont chères, un enfant doit développer la fonction symbolique – cette capacité à se représenter les choses en leur absence, comprendre les implicites, comprendre les déductions. Cette fonction se construit avec des objets réels, dans cette exploration du monde, avec les 5 cinq sens, avec notre corps, avec des adultes qui non pas nous guident mais qui nous accompagnent.
Les troubles
On rencontre aussi des enfants qui ont un langage pas trop mal construit, mais qui sont paumés dans l'organisation de leurs connaissances, notamment au niveau logique. Parce que cela ne s'est pas fait au stade du tout-petit, car ils n'ont pas été assez en présence d'objets, pas assez encouragé à les manipuler. Cela se manifeste par des grandes vides dans les piliers logiques, pouvoir classer, ordonner, comprendre les choses, déduire. Ces difficultés d'apprentissage, aussi bien les troubles d'attention que l'hyperactivité - assez à la mode - sont attribuées actuellement à des troubles « dys » - dyslexie, dysphasie, dyspraxie, dyscalculie. Et on combine aussi ses pathologies spécifiques réservées à une fonction cérébrale. Et cela ne veut plus rien dire lorsqu'il y a combinaison de ces appellations.
Allons voir comment l'enfant s'est construit, le temps qu'il passe devant les écrans. Cette question des écrans est primordiale si on veut faire un diagnostic clair et précis et proposer des aides spécifiques à ces enfants. Le problème est qu'aujourd'hui les troubles « dys » prennent une proportion importante. Que va-t-on faire de tous ces troubles de l'attention ? Je conseille de poser la question des écrans ; le seul fait d'enlever les écrans, va permettre à l'enfant de se reconstruire. C'est donc une question de santé publique, et il faut vraiment s'en emparer. On est en train de passer à côté de l'humain. Et c'est préoccupant, car des petits « loulous » qui me sont présentés ne comprennent plus rien, étant à la limite sauvage - tapant, mordant. Mais le fait d'accompagner les parents, là où ils en sont avec leurs propres usages des écrans, de voir avec eux ce que chacun peut faire au quotidien pour accompagner leurs enfants, on aboutit à des redémarrages hallucinants. Ce qui permet d'éviter de faire des demandes d'AVS. A partir du moment où tout acteur autour de l'enfant se posera la question, on évitera des dérives, des raccourcis. On ne réglera pas un trouble dysphasique, un trouble structurel du langage, si un petit enfant à passer la moitié de sa petite enfance devant un écran. Ce n'est pas qu'il y a une lésion, ou que cette plasticité cérébrale ne s'est pas faite, c'est qu'il n'a jamais eu l'expérience, l'occasion d'exercer cette compétence-là. Il ne faut pas se tromper car il en va de la crédibilité de chacune de nos professions.
Apport d'Anne-Lise
Je pense que c'est un problème grave, de santé publique. Et maintenant une urgence sanitaire. Cela déborde de partout. Tous les services d'accompagnements dans les villes, tous les enseignants, nous disent c'est une catastrophe pour les petits. Un exemple : les parents vont voir le médecin et lui explique que leur enfant ne parlait pas. Il a regardé avec sa lumière dans la bouche de l'enfant pour voir pourquoi il ne parlait pas. Les médecins l'envoient chez le neuro-pédiatre ou le pédopsychiatre. Le neuro-pédiatre ne comprend pas. Il envoie l'enfant faire un électro-encéphalogramme, qui est normal et l’envoie enfin chez l’orthophoniste. Et là il y a deux ans d’attente. Et cet enfant peut avoir un autisme virtuel, et risque d’être handicapé à vie. La plupart des professionnels de santé n’ont pas pris la conscience des écrans et de leurs effets.
90% des troubles des enfants, que je vois, sont causés par des écrans. Ayant demandé aux parents s’ils avaient pu arrêter les écrans, le constat est que c’est extrêmement difficile pour eux. Il faut qu’ils changent leur vie à eux, perdent leur habitude de laisser la télévision allumée surtout avec leur enfant à côté – qui va regarder par exemple, une chaine d’information en boucle toute la journée. Le bébé ne peut pas se développer - c’est stressant, angoissant - et il ne met pas en place tout ce que l’on a développé précédemment avec Carole. Il faut l'expliquer aux parents, que mis dans une pièce avec une télévision qui fonctionne, même si l’enfant ne la regarde pas, il ne peut pas se développer. Car lorsqu’il fait ses expériences d’empilage de cubes, il est sans cesse dérangé par les jingles, des bruits, regardant pas intermittence. Et lorsque il revient sur son jeu il ne reprend pas d’où il en était, son cerveau ne finit pas son exploration initiale et il n’y a aucune connexion qui se fait. Le petit bébé qui n’entend que la télévision parler - mais qu’on ne lui parle pas - pourquoi voulez-vous qu’il communique ? Il y a du bruit dans la maison toute la journée mais pas pour communiquer. Des institutrices me disent "Ils arrivent le matin, je parle ; mais c’est comme si je n’étais pas là". Ils ont l’habitude d’une machine qui parle, mais pas de gens qui leur parlent. J’ai des enfants qui lorsque je leur pose une question, n’attendent pas la fin ; ils ont déjà répondu avant. Il n’y a pas ce tour de rôle comme lorsque vous parlez avec quelqu’un. Du fait de la télévision qui parle tout le temps, les enfants font de même, et il n’y pas ce tour de rôle. Et comme soulignait Carole, des enfants parlent mais il n’y a aucune pensée qui s’est élaborée. Et il y aussi le trouble de « l’écholalie » l’enfant répète la question sans y répondre. Et ce phénomène peut durer longtemps dans une « conversation ». Les parents me disent "il parle" mais ce n’est pas cela parler, ce n’est pas répéter le mot, c’est l’utiliser à bon escient. On attend normalement dans un échange "bonjour Victor" et sa réponse "bonjour Anne-Lise". Et lorsqu’on lui demande de dire des chiffres, ce n’est pas réfléchi mais un automatisme cérébral. Ce n’est pas parler. J’ai des enfants avec des parents qui ont envie qu’ils apprennent les couleurs ; et toute la journée, le papa lui demande la couleur. Demandant à cet enfant de faire la petite tour de cube comme moi, il me disait les couleurs en anglais ou en français. A chaque fois qu’il parlait, il disait une couleur. Et j’ai demandé aux parents d’arrêter de lui apprendre les couleurs, les 1 2 3 4. Mais surtout parlez-lui tous les jours de ce que vous êtes en train de faire avec lui, de ce qu’il ressent. Si par exemple il n’est pas content, vous lui dite "Ah, tu n’es pas content je comprends, tu voulais un gâteau et je te l’ai pas donné. Allez assis toi, donne-moi ton pied, je vais te mettre ta chaussure". A ce moment-là l’enfant apprend car ces mots veulent dire quelque chose, parce qu’il les vit. Et ça c’est très important de l’expliquer aux parents
Carole
Ce que Anne-Lise vient de décrire est très important car c’est faire la différence entre un langage descriptif et un langage informatif. Et ce qui sous-tend le passage de l’un à l’autre c’est l’élaboration de cette fonction symbolique. Devant une image, savoir qu’est-ce qu’a compris un enfant de la situation. Un enfant qui va être dans un langage perceptif, descriptif, va nous dire trou, lapin, rouge, gris vert. Il décrit la situation et sa pensée va être sur les couleurs, des choses factuelles. Un enfant qui va être dans un langage informatif, va nous communiquer, nous signifier sa compréhension de la situation. Même s’il ne parle pas bien, il va nous dire "Ah content de se voir, attention il va tomber". Ce sont des niveaux complètements différents soit la perception des couleurs, soit l’interprétation, la compréhension qu’il peut faire de la situation.
Apport d'Anne-Lise
Le gros problème c’est la médicalisation des troubles. On fait la différence entre l’éducatif et la santé. Avec tous les enfants que j’ai en situation difficile, les médecins et enseignants envoient faire des bilans à l’hôpital. Et à l’hôpital aucun des médecins ne posent la question de l’environnement. On sait tous que le bébé de zéro à trois ans, se développe grâce à l’environnement à 95%. Et personne ne se pose la question si cet environnement est la cause de ces troubles. L’enfant est hospitalisé pendant 5 jours, avec un coût très élevé pour la société. Quand vous allez voir un pédopsychiatre, vous avez « droit » à un bilan orthophonique, un bilan psychologique et un bilan avec la psychomotricienne. Et pour le même enfant vous l’envoyez en neuro-pédiatrie, vous avez « droit » à un IRM cérébral, des tests génétiques et biologiques pour chercher des maladies. Le même enfant en fonction du service où il va aller, n’aura pas la même chose. Et tous, pour les plus graves, vont ressortir avec des diagnostics d’autisme – c’est ce que je vois tous les jours. Et le spécialiste dira "Madame vous avez un enfant autiste ; on peut l’aider, il va pouvoir progresser, mais il sera autiste toute sa vie. On prévoit à l’école une AVS – un an d’attente – et s’il ne peut en avoir, comme il bouge tout le temps, il est déscolarisé. Et on va l’envoyer chez l’orthophoniste, la psychomotricienne, la psychologue. Cela va coûter très cher et il ne va quasiment pas progresser. Malheureusement tout cet enchainement a pour cause l’absence de question sur l’usage des écrans ; si c’est bien de cela qu’il s’agit, il faut demander aux parents de les arrêter. Et si c’est dur pour eux, il faut pouvoir mettre en place un accompagnement pour les aider. Les parents me disent que lors de l’arrêt des écrans, au maximum il a pleuré ou s’est tapé la tête contre les murs pendant 15 jours. Eh bien, il faut tenir : vous êtes fatigués, vous avez un petit bébé à la maison, quelqu’un qui dort à côté, des voisins qui se plaignent, mais l’écran n’est pas la solution. Certains parents ont acheté une tablette pour que l’enfant ne fasse pas de bruit.
Les parents s’inquiètent parfois plus que les médecins. Lorsque l’enfant n’est pas dans l’interaction, s’il joue tout seul, ne regarde pas ses parents, ne pointe pas du doigt, ne vient pas apporter le jouet pour le montre ou faire des câlins, les parents peuvent croire qu’il est autonome, qu’il n’a pas besoin d’eux. Des proches disent même qu’ils ont de la chance et les parents ne sont pas forcément inquiétés.
La vidéo d’Hugo :
Une maman a pris contact au mois de mars pour son fils – un enfant de 2 ans et 9 mois qui présentait les mêmes symptômes que ceux décrits dans ma vidéo. Beaucoup de parents du monde entier ont pris contact avec moi pour la même chose. C’est devenu un fléau mondial, et touche tous les pays qui ont accès au numérique. Il va falloir que la société entière s’en saisisse, car c’est un drame humain pour les familles, c’est un drame financier inutile, c’est des vies entières brisées.
Description : l’enfant est chez la psychomotricienne et un bilan, qui dure deux heures, est fait. Hugo ne s’intéresse pas à ce que lui présente la psychomotricienne, il ne parle pas, il n’exprime rien avec son visage. Elle fait tout ce qu’elle peut, chante, fait des mimiques : Hugo reste impassible. Quelques jours après ce rendez-vous, suite à ma vidéo, la maman arrête tous les écrans. Et lors d’un nouveau rendez-vous un mois après, Hugo prononce des mots, fait des petites phrases, pousse des intonations. 5 mois après, Hugo fait des petits câlins. Hugo est rentré normalement à l’école, il y a quelques jours, sans AVS. La conclusion de la maman retraçant toutes ses étapes : "Si vous avez des doutes éteignez les écrans. "
Dans l’Essonne les demandes d’AVS ont été multipliées par trois entre 2010 et 2015. Chez les petits, neuf fois sur dix, lorsque je demande une AVS c’est suite à une surexposition aux écrans. Notre président a dit qu’en septembre tous les enfants en difficulté auraient une AVS, ce qui n’est pas encore la réalité pour les enfants que j’ai en charge. Devant ce fléau, il faut considérer et additionner les écrans des parents et ceux des enfants. Je dis aux parents lorsque vous avez des petits enfants, il faut changer vos habitudes. Quand on fume, on ne va pas consommer sa cigarette à côté du bébé. Avec l’écran, c’est pareil ! On n’allume pas si on est à côté, car on « écoute de travers ».
Carole
Une maman qui voulait faire quelque chose, a dicté une lettre pour témoigner de son vécu, pour que l’enfant retrouve sa place. Comme il n’y a pas encore vraiment d’études sur le sujet, les meilleurs conseilleurs en fin de compte, ce sont les parents, qui parlent à d’autres parents. La lettre de juillet 2017 : "Mohamed a commencé à regarder les écrans à l’âge de 2 ans, et comme il ne parlait pas je pensais qu’il s'intéressait à cela et que ça allait l’aider. Mais le contraire. Il passait la journée à ça ; moi ça m’arrangeait aussi car je faisais le ménage, j’étais tranquille. Vraiment je pensais que ça allait l’aider : il regardait la tablette tout le temps, toute la journée même la nuit et pour manger. Quand on est venu chez vous, vous avez remarqué qu’il faisait beaucoup la bagarre et vous me l’avez dit. J’ai regardé et j’ai remarqué aussi. Vous m’avez réveillé. Depuis que vous m’avez parlé de ça, j’ai regardé – mon enfant – et j’ai trouvé que vous aviez raison. Au début, j’ai commencé à arrêter la tablette ; c’était dur, il pleurait, il ne comprenait pas, il ne s’intéressait pas à autre chose, à lire ou à écrire. Après ça je me suis concentré sur lui et je l’ai aidé à prendre des livres, j’ai arrêté le ménage pour lui apprendre, pour lui montrer qu’il pouvait faire autre chose que les jeux. Je l’ai aidé à apprendre l’alphabet ; ça a été dur de se concentrer mais on a fait ça, il a réussi. Je lui apprenais, lui montrais comment on dit. Maintenant, il lit tout seul, fait ses devoirs tout seul, il travaille tout seul, il a beaucoup progressé dans les phrases. Il est beaucoup plus concentré sur son travail et prend son temps ; avant c’était impossible. Aujourd’hui depuis des mois, il n’y a plus de tablette, plus de télé ; il ne s’intéresse plus à ça. Il veut ses livres, son cartable qu’il aime plus que la télé. Les livres ont remplacé la tablette, et pas que pour Mohamed, pour tous mes enfants". Ce que conseille cette maman : "Les écrans ce n’est pas bien, ça empêche les enfants de travailler et çà leur prend leur temps". Et elle rajoute "J’ai appris à éteindre la télé ; on rigolait, on se parlait, on discutait, je me sentais comme en Afrique. J’ai aimé, vous m’avez réveillé." Merci la maman.
Apport d'Anne-Lise
Il y a énormément de parents qui nous disent "vous nous avez réveillés, et ils disent aussi pour leur petit garçon ou petite fille quand ils sont enfermés dans ces troubles d’autisme virtuel "Mon fils s’est réveillé, on a récupéré notre petit garçon".
Je voulais faire le lien avec l’éducation nationale. On a bien compris que ces enfants qui sont en grande difficulté, lorsqu’ils arrivent à l’école, ils sont incapables de rentrer dans ses apprentissages scolaires parce qu’ils n’ont pas appris les compétences qu’ils auraient dû acquérir entre zéro et trois ans. La maîtresse a beau être une superbe maîtresse, elle ne peut rien faire, absolument rien. Le ministre de l’Education Nationale interviewé le 31 août sur sa déclaration dans Paris-Match "Il ne faut pas exposer aux écrans les enfants jusqu’à 6 ans". Il répond "Oui je ne sors pas cela de mon chapeau, j’ai lu beaucoup". Donc tout ce que l’on est en train de faire en ce moment, ce battage médiatique, est arrivé jusqu’à lui et il rajoute "Cela relève de notre responsabilité, c’est un problème de société. Les professeurs y compris en primaire, constatent sans arrêt des problèmes de concentration des enfants dus en partie à ça. Il faut une sensibilité de toute la société française. On pourrait parler du numérique à d’autres âges de la vie mais de zéro à six ans, ce n’est évidemment pas la solution". Je vois cela comme un grand espoir pour nous ; on va essayer de le rencontrer pour lui expliquer ce que l’on voit de dramatique chez les enfants. Car début juillet, avant tout ce battage médiatique, il déclarait "Je veux être en premier ligne dans le déploiement des « edtech françaises »". Il est en partenariat de 6 à 8 M€, dans un projet d’innovation lancé par son ministère, avec la Caisse des Dépôts, des partenaires et entrepreneurs du numérique éducatif. Ils sont dans la phase appel d’offres et 6 projets seront retenus pour intégrer l’intelligence artificielle en CP et CE1 et CE2, pour apprendre les maths et le français. Commencer par des écoles pilotes et si c’est probant, ils vont le généraliser. Ils veulent encourager des solutions s’appuyant sur des techniques d’intelligence artificielle pour faire évoluer les apprentissages de ces matières. J’espère qu’il a entendu notre message qui passe sur toutes les chaînes pour renoncer à ce projet. Et on va se battre pour cela.