Premier débat du samedi matin
Avec Amélie Hart-Hutasse
Retranscription
Public : à propos des MOOC, je sens une pression qui sera toujours plus forte sur les enseignants afin qu’ils finissent par déposer leurs cours en ligne. C’est déjà le cas dans l’enseignement supérieur, mais je pense que cela arrivera dans l’enseignement obligatoire, au lycée, au collège. Dans une société individualiste, libérale, de contrôle et de contraintes - dans laquelle on est de plus en plus-, les parents auront la possibilité de se pencher, de décortiquer avec leurs avocats les cours des professeurs à la virgule près, pour voir s’ils sont en conformité avec les programmes. Dans le cas contraire on pourra leur faire des ennuis administratifs et éventuellement des procès. Ce que l’on rétorque aux professeurs lorsqu’ils sont sceptiques sur l’utilisation des TIC, c’est avec mon interprétation personnelle « Tu n’as qu’à t’adapter à la complexité du monde, sous-entendu ou tu crèveras ». L’éducation aux médias il faut la faire, je n’ignore pas la technologie de l’information et de la communication. J’en parle avec mes élèves mais en provoquant un dissensus, le pire serait le consensus même. Malheureusement, j’ai plusieurs de mes collègues qui sont dans la techno-utopie sans même s’en rendre compte.
Public : on parle beaucoup de réduire les inégalités, mais au nom de cela on supprime la différence parce qu’il n’y a plus le droit, la possibilité, que ce soit pour les enfants ou les adultes de passer à travers ce filtre et d’être dans le même moule. Cela m’inquiète un peu.
Public : ce qui m’étonne lorsque l’on parle de formation au numérique, en considérant que les garçons jouent plus et que les filles font plus de recherche, on reste quand même dans des usages consuméristes. On a des enfants qui sont des virtuoses dans le numérique, qui font des tas de choses très passionnantes. Mais pour avoir discuté avec des informaticiens, ils se plaignent de la baisse de compétence dans la capacité à créer des outils, voire à comprendre comment ils sont créés, voire le désintérêt de savoir comment c’est fait. Si j’ai un crayon, je sais à peu près comment ça fonctionne, si j’ai un stylo je sais globalement comment c’est fabriqué. Et lorsque je l’ai acheté on ne va pas me le « bidouiller » toutes les 5 minutes ; ce n’est pas le cas avec le numérique. Lorsque l’on parle de former au numérique, on forme à la consommation, ou on s’intéresse à la manière que l’on fabrique les outils, qui les fabrique, les modifie et pour quel usage ?
Public : je suis né en 62 et à mon époque il y avait juste les bulletins, les notes. Et j’ai un peu de mal à me faire à l’idée de toute cette documentation, même si je perçois bien toute la pression qu’il peut y avoir. Dans la presse, j’ai lu : Il faut que les enfants apprennent à coder, qu’en pensez ?. Et voyez-vous les pédagogies alternatives comme un antidote ?
Amélie : oui la pression pour les professeurs de déposer leurs cours existe bien, mais il y a quand même le droit d’auteur qui les protège. On ne peut pas les livrer comme cela ; sur le plan juridique on est quand même protégé, ils ne sont pas libres de droits. Cela parait de plus en plus difficile de déposer leurs cours. Car avec la diversification des pratiques pédagogiques un cours n’est pas forcément quelque chose qui peut être transcrit par des images, des hyper liens. Lorsque je demande à des élèves de fabriquer une affiche à propos d’un thème, de trouver des slogans, que peut-on déposer ? A part mettre les affiches dans un local, les déposer dans un environnement virtuel !
A propos de la formation au numérique à des usages consuméristes est très intéressant, car dans ce qui nous est prescrit, c’est de former les élèves à certains outils numériques. Mais la capacité à créer des outils, à comprendre comment cela fonctionne, devient une manière d’être plus militant chez les enseignants. Vous avez les enseignants qui utilisent le numérique en essayant de faire comprendre aux élèves comment c’est fait, d’où ça vient, comment ça fonctionne, … Je leur explique pourquoi je n’utilise pas Google, pourquoi j’utilise l’ENT et pas un système extérieur pour s’échanger des messages. Que Google c’est gratuit, mais que c’est eux le produit. L’impact des Datacenter. Mais dans le système scolaire, il n’y pas d’espace pour apprendre à créer ses propres outils numériques ou dans des filières et matières bien particulières. Mais si c’est utiliser le numérique pour consommer, c’est effectivement assez décevant. Et on n’a pas en tant qu’enseignant soucieux que la culture scolaire soit émancipatrice, on n’a pas à encourager ce type de consommation du numérique.
Concernant le lien entre pédagogie alternative nouvelle ou innovante et le numérique, avec Christophe Cailleaux, on a écrit des billets de blog sur le sujet pour réagir et lutter contre cette idée que si on voulait être un bon enseignant créatif et innovant, il fallait forcément utiliser le numérique.