TECHNOlogos 5èmes Assises des 15 et 16 septembre 2017 : "La numérisation de l'éducation"

La colonisation numérique du monde et de l’école

Par Cédric Biagini

Résumé

Nos sociétés, fondées sur l’innovation, ont remplacé le « Quand on veut, on peut » par le « Quand on peut, on veut ». Le colonialisme numérique exige que toute activité qui peut, d’un point de vue strictement technique, migrer vers le numérique, doit le faire. Le philosophe Eric Sadin parle de « silicolonisation du monde ». Soit la tentative de reproduire partout le modèle économique mis en place dans la Silicon valley, et l'hégémonie de son esprit parmi les élites économiques, culturelles et politiques. Toute la classe politique encourage la frénésie innovatrice et le déploiement du numérique dans un grand consensus. Emmanuel Macron et sa nation start-up étant l'un des plus fanatiques d'entre eux. Aujourd'hui quasiment plus rien n'échappe aux industries du numérique. Nos actions sont de plus en plus orientées par les algorithmes, alors que s'automatise des secteurs entiers de la production et les systèmes automatisés divers ont envahi notre quotidien. Dans ce contexte, l'école telle qu'elle est aujourd'hui, malgré la pénétration croissante des industries numériques, fait figure de fossile. Mais il semblerait que son sort soit scellé. Comme tout le reste, elle doit basculer dans le numérique, au plus vite.

A moyen terme, des « kits pédagogiques numériques complets, et interactifs » marginaliseront le rôle du professeur. Ce dernier se trouvera déqualifié. N’élaborant plus ses cours et n’étant plus impliqué dans la transmission du savoir, il perdra sa fonction principale : celle d’instruire, pour se transformer en animateur numérique, chargé d’assister et de surveiller les élèves dans leur utilisation du numérique. Déjà, les choses que l'on « apprend » sur ces réseaux, ou plutôt auxquelles on a accès, sont bien plus séduisantes et divertissantes. Elles sont plus simples et plus vivantes que ce que l'on nous enseigne « entre les murs ». On sait pourtant que l'acquisition véritable de connaissances et d'un savoir nécessite de la lenteur, de la répétition et même de la peine et de l'ennui. Cela doit se faire dans un processus systématique, discipliné et méthodique, qui devient d'autant plus insupportable que les capacités d'attention et de concentration des élèves ont été altérées par leur immersion dans le monde numérique.

Retranscription

 

Je vais commencer par une citation du Figaro de 1979 : Nous ne savons pas quels usages assigner aux ordinateurs domestiques, mais nous pensons qu’il y a un marché parce que les ménages ont pratiquement fini de s’équiper en télévision couleur. Il faut trouver un produit relais qui perpétue les habitudes d’achat. On voit que quarante après, les choses ont évolués. Au début de ces années 80, le produit relais était l’ordinateur PC qui s’est installé peu à peu dans les foyers et qui a pris vraiment son envol à partir du moment où tous ces ordinateurs ont pu s’interconnecter par l’internet. Et ce phénomène de déferlement technologique n’a pas cessé depuis et a fait que nos vies ont été littéralement envahies par des objets numériques, des logiciels, puis des applications avec l’arrivée du smartphone - un tournant important favorisant l’emprise croissante du numérique. Nous n’avons cessé de nous laisser envahir par tous ces objets, qui ont profondément modifié les rapports sociaux, les temporalités, les modèles économiques, productifs et nos manières d’être et de penser. Ce déferlement de processus matériels, malgré que l’on parle d’une économie de l’immatériel, ou de dématérialisation, est accompagné d’un discours puissant que je qualifierais de techno-utopie. Ce discours systématique, très enthousiaste, ne laisse que très peu de place au débat rendant la contestation impossible « on n’arrête pas le progrès », formulation qui parait désuète de par l’utilisation du terme progrès.

Intéressons-nous au concept « d’exaptation » issu de la biologie et repris par un linguiste italien Raffaele Simone. C’est le contraire de l’adaptation. C’est l’organe qui va créer la fonction. Dès qu’une technologie apparait, comme un smartphone ou une nouvelle application, elle va créer un nouveau besoin. Des fonctions et besoins qui jusqu’ici étaient inexistants, vont émerger dès qu’un moyen technique va être capable de les satisfaire. Comme aujourd’hui, on a l’impression qu’il est absolument nécessaire d’être joignable partout et en permanence. Dans ce cas on parle de phénomène « d’exaptation ». Dès que l’on a pu posséder un téléphone portable, entrainant des modifications sociales et cognitives, le besoin est devenu impérieux. Les personnes n’acceptant pas d’avoir ce téléphone, ou d’être jointes en permanence, peuvent être mises en difficulté à maintes occasions. Les industriels du numérique, ont depuis longtemps théorisé ce processus. Kim Kook qui a succédé à Steeve Jobs, dit Notre mission est de vous offrir quelque chose que vous ignoriez vouloir et dont vous ne pouvez plus vous passer une fois que vous l’avez.

Nos sociétés reposent entièrement sur l’innovation et la formule « Quand on veut, on peut » a été substituée par « Quand on peut, on veut ». Cela peut expliquer le basculement qui a opéré avec l’accroissement numérique ; cela va vraiment s’appliquer à l’école, car tout ce qu’il est possible de faire techniquement, doit être non seulement fait, réalisé mais aussi désiré. Ces deux notions sont importantes : ce qui doit être fait - avec une marche très difficile à arrêter voire à ralentir – mais en plus il faut la désirer. Il faut donc que les populations, autant que les « élites », désirent ce progrès technologique. C’est là que les techno-utopies entrent en jeu. Il faut qu’elles rendent ces innovations technologiques très désirables. Il suffit de voir ce qui ce passe avec l’arrivée d’un nouveau smartphone, pour comprendre de manière très concrète ce que cela signifie. Ce colonialisme numérique exige que toute activité qui peut - d’un point de vue strictement technique au départ - migrer vers le numérique le fasse. Cela évacue de fait toute discussion, puisqu’à partir du moment où on estime que si les conditions techniques sont réunies, le passage au numérique doit s’opérer. On ne voit plus où est le pouvoir de décision des groupes humains, quelle que soit leur taille. Aujourd’hui, quasiment plus rien n’échappe aux industries du numérique : les capteurs se sont développés partout, la connexion des objets se généralise ; tout est en train d’être mesuré, quantifié, évalué. L’ensemble de nos actions comme le fait d’aller courir ou marcher sont mesurées : avec le nombre des calories perdues, des pas, ou encore la distance, les accélérations. Et certains vont mettre ces données en ligne ! Puis ils vont commenter, se galvaniser entre eux - via les réseaux - en comparant leur progression. Le moindre de nos souffles ou activités sont « technologisés », voire marchandisés, afin que l’industrie numérique tente d’en tirer profit.

Ainsi, nos actions sont de plus en plus orientées par les algorithmes, pendant que des secteurs entiers de la production s’automatisent et que des systèmes automatisés via des objets technologiques sont en train d’envahir notre quotidien. Le philosophe Eric Sadin utilise un terme assez fort de « silicolonisation » du monde : Sili pour Silicon Valley. Ce terme a deux interprétations : celle d’un lieu physique où ces industries ont pu se développer, mais aussi en tant qu’un esprit – ou mode de pensée. Et on voit nos élites politiques, économiques, dans un moment de grand marasme, prendre pour exemple la Silicon Valley, comme une réussite formidable, incontestable d’un modèle économique voire social et sociétal, qu’il s’agirait de reproduire partout en développant dans nos pays jusqu’à nos quartiers, des minis Silicon Valley comme le quartier du Sentier à Paris, Loire Vallée, … On voit se réaliser ce fantasme de manière très concrète comme à travers l’implantation d’incubateurs de startups. Et toutes ces actions sont très largement accompagnées par des financements publiques, avec parfois des échecs commerciaux. Ce désir de « silicolonisation » est extrêmement présent chez nos élites. Je citerais un article qui porte sur des jeunes sortant de très grandes écoles d’ingénieurs. Auparavant ils intégraient des grands corps d’état, ou étaient à la tête d’entreprises. Aujourd’hui, ils rêvent de monter une startup, et de construire leur carrière professionnelle sur ce modèle de la Silicon Valley, en rupture avec ce à quoi les préparaient traditionnellement ces grandes écoles.

Donc un désir de Silicon Valley qui se traduit par les tentatives de nombreux élus locaux, pensant être moderne parfois pour faire face à une désindustrialisation massive, et qui vont croire que le numérique va les sortir de ce marasme-là. Ils espèrent ainsi faire venir une population plus jeune pour redynamiser la région. Cette tendance à l’hégémonie du numérique c’est aussi celle de l’esprit de la Silicon Valley, autant chez des élites qu’au niveau de la population. Cela se traduit dans la classe politique par une frénésie novatrice et largement consensuelle, favorable au déploiement du numérique. Il suffit d’étudier les programmes des candidats à la présidence de la république sur la question du numérique. On y voit que le tronc commun est la « silicolonisation » des esprits et du monde. Il peut y avoir des nuances mais rarement des critiques. Le président actuel est le plus engagé dans ce domaine avec la notion de « nation startup » à la pointe ; ce qui laisse présager que le développement de l’école numérique sera un élément important de sa politique éducative. Un consensus, que l’on retrouve aussi dans la mandature précédente, qui fait que l’école comme pour toutes les autres institutions et espaces doit « basculer » dans le numérique.

Ce qui est en jeu, au-delà d’un modèle technologique et économique, c’est aussi pour moi un modèle civilisationnel qui s’instaure. Dans ce contexte, l’école est encore loin de la configuration où veulent les emmener les plus fanatiques de sa numérisation, sachant qu’elle est une ancienne institution regroupant massivement des personnes enseignantes avec des élèves, qui fait que les mutations, le basculement numérique ne s’opèrent pas aussi vite et de manière aussi spectaculaire que certains le voudraient. Par exemple, mes enfants sont encore dans une école où tout s’organise autour de la classe avec des professeurs.

Mais les choses sont en train de changer. Dans ce contexte-là, l’école fait figure de vestige, voire de fossile, mais il semblerait en écoutant l’Education Nationale et un certain nombre d’acteurs économiques, que son sort soit scellé car comme tout le reste elle doit basculer dans le numérique et au plus vite. Le rapport de Michel Fourgous de 2010 Réussir l’école numérique est complètement imprégné de cet esprit de la Silicon Valley. Dès 2010, les élites politiques et économiques influencées par les startups et le monde du numérique constate que l’école est en retard : La révolution numérique a déjà commencé. La question n’est plus de savoir si elle est pertinente ou pas, la question est de savoir comment rattraper notre retard et jouer un rôle indéniable dans la compétition mondiale. L’avenir de notre pays passe par la formation de nos enfants à l’outil numérique pour réussir. On retient une absence totale de débat ou d’interrogation. Ce « retard » dans le domaine du numérique et du progrès technologique, toujours sous l’angle de la comparaison avec d’autres pays comme la Suède, peut développer une angoisse, ou faire sentir une injonction à faire, à accélérer la mise en place. Il faut combler ce retard, être compétitif. En 2010, dans ce qu’on appelait la société de la connaissance, numérisée, la déstabilisation des entreprises et de ses modes d’organisation et de production est devenu la norme. Cette fameuse destruction-créatrice est en train d’être appliquée ; on voit des secteurs s’effondrer, d’autres émerger. Et toutes les manières de produire et de travailler sont sans cesse déstabilisées. Il est impossible de prévoir quelles seront les modes de production de demain. L’entreprise est sommée d’innover, de se renouveler sur des cycles de plus en plus courts. Et même, lorsque les choses marchent il faut aussi innover, détruire, recréer. Dans ce marché perpétuellement déstabilisé, les travailleurs doivent s’adapter. La capacité de ces travailleurs à s’adapter à ses transformations technologiques devient aujourd’hui ce qui est le plus valorisé. Et comme on voit que dans l’école, dans un contexte de chômage très fort, de difficultés pour trouver de l’emploi, l’employabilité future des élèves est omniprésente que ce soit du côté de l’institution, ou des parents. Dans l’école de mes enfants, certains parents poussent à l’utilisation de tablettes ; ce qui est invoqué est cette peur de l’avenir. Et tous les technolâtres nous disent que c’est nous qui avons peur des technologies, alors que dans leur discours est omniprésente la question du retard, de la compétitivité et de l’employabilité - qui repose en partie sur la crainte du futur. Si l’employabilité devient un objectif prioritaire de l’école, peut-être pas le seul, il est évident qu’il va falloir avant tout former ou formater les élèves à être en capacité de s’adapter en permanence aux évolutions technologiques et économiques. Ils donc devront être adaptables, flexibles dans une économie de la connaissance. Ceci explique la substitution de la pédagogie par compétence par celle plus traditionnelle de la transmission des savoirs. Il vaudrait mieux être capable d’apprendre à apprendre, à développer son esprit d’initiative ou d’entreprise, à travailler ses aptitudes sociales, plutôt que d’être – pour caricaturer - un brillant ou brillante latiniste ou de bien connaitre l’histoire de France. Dans le contexte que je viens de décrire, si l’école pose l’objectif d’employabilité comme prioritaire - on ne peut pas détacher l’école du reste de la société - il faut évidemment développer les compétences. Tous les savoirs doivent être utiles et une bonne part d’entre eux vont devenir périssables. Et dans une société qui change perpétuellement, ce que nous apprenons aujourd’hui sera dépassé si ce n’est superflu demain. Et en reprenant la citation d’un technocrate de l’Education : Il faut être capable de renouveler, de mettre à jour nos connaissances en permanence afin de suivre ou même d’accélérer le rythme du changement au lieu d’être submergé par lui. On voit que la société et aussi l’école courent en permanence après cette « silicolonisation » du monde. Avec ce nouveau modèle pédagogique fondé sur l’acquisition de compétences, le rôle du professeur va être fragilisé, si ce n’est prolétarisé. Citation du rapport de 2010 relatif au rôle du professeur : Les technologies de communication et de l’information pour l’enseignement vont permettrent de le faire évoluer, leur formation et leur statut. Ils vont devenir des guides, des metteurs en scènes, des ingénieurs pédagogiques, des catalyseurs d’intelligence collective. Outre les expressions un peu fortes, on retrouve bien l’esprit de la Silicon Valley.

Pour revenir sur le rôle du professeur, lorsque se développeront des kits pédagogiques numériques complets, interactifs qui vont faire le tour d’une question, d’une matière, proposer des exercices et tout un ensemble d’applications, on peut imaginer que son rôle qui était central va être marginalisé. A moyen terme, il se trouvera dépossédé d’un certain nombre de ses prérogatives, notamment celle d’élaborer son cours et d’être impliqué dans la transmission du savoir. Et dans l’instruction, il deviendra plutôt un animateur chargé de d’assister et surveiller les élèves dans leur utilisation du numérique. Dans le même rapport : Ils se placeront à côté de l’apprenant et non plus exclusivement face à lui. L’enseignant apprendra à mener, à élaborer un projet avec ses élèves. Il leur apprendra à être plus autonomes, à réfléchir sur la façon de raisonner, d’apprendre et de vivre dans une société mêlant réel et virtuel. Désireux de former les élèves à la complexité et aux nouveaux métiers du numérique, la pédagogie évoluera d’un mode présentiel, disciplinaire et instructiviste, vers un mode mixte présentiel et e-learning, transdisciplinaire où l’élève sera acteur au centre de l’apprentissage, soit une pédagogie dite constructiviste. Cet extrait a le mérite de regrouper et d’utiliser des termes éclairant sur la manière, dont ces gens qui sont pour beaucoup des responsables, déterminent l’avenir de l’école et le rôle du professeur. Le professeur qui était porteur d’un savoir légitime est mis en concurrence avec la quantité astronomique d’informations qui sont disponibles instantanément sur les réseaux numériques, dans lesquels les élèves sont plongés en permanence et dont les scintillements sont très séduisants. Le professeur devient une source parmi d’autres de savoir. Que ce soit dans le supérieur et peut-être dans les études secondaires, il faut aujourd’hui réussir à apprendre des choses qui servent, qui marchent, plutôt que des choses qui vont aider à comprendre, un savoir qui est devenu instrumental. Pourtant dans l’école que l’on peut défendre et qui a pu exister avec tous ses défauts, il y a un combat prioritaire à mener, avec des logiques qui s’affrontent, et dans lesquelles il est nécessaire de définir des choses assez abruptement et en évitant de rentrer dans des débats submergés par des logiques dominantes.

Dans l’école où l’on enseignait un savoir légitime doté de sens, reconnu comme de qualité et validé, le savoir était garanti et prodigué par des anciens et s’inscrivait dans une certaine filiation. Aujourd’hui les choses que l’on apprend sur les réseaux numériques ou plutôt auxquelles on a accès paraissent bien plus séduisantes et divertissantes, plus simples et plus vivantes que celles enseignées entre les murs. Cette acquisition du savoir qui se faisait suivant un processus systématique, discipliné et méthodique devient d’autant plus insupportable que les capacités d’attention, de concentration des élèves ont été altérées notamment par leur immersion dans le monde numérique - des faits constatés par les professeurs observant leurs élèves et ceci à tous les niveaux. Face à cela, certains les promoteurs du numérique disent Les élèves on est en train de les perdre. Et pour les raccrocher parce qu’ils sont incapables de suivre un cours et d’accepter le système scolaire, il va falloir les sortir de la routine du tableau noir en leur proposant une pédagogie plus attractive, en injectant du ludique sous différentes formes. Ainsi on va espérer pouvoir assurer notre mission. Il s’agit donc de faire pénétrer au sein de l’école ces outils qui vont détruire – chez les élèves - leur capacité de d’attention, de concentration, modifiant le rapport au temps et à l’effort au sein de l’école, pour tenter de les repêcher et que l’institution puisse encore jouer son rôle. Pour résumer L’art de s’agiter quand on est pris dans les sables mouvants.

« Raccrocher les élèves », est un des arguments qui peut aller en faveur du numérique, un parmi tant d’autres, mais celui-ci est significatif puisque, ce qui va rendre les élèves instables, on pense qu’en le faisant pénétrer dans l’école, on va pouvoir continuer d’assurer notre mission. Alors que selon moi, c’est tout le contraire qui risque de se produire : c’est « silicoloniser » l’espace de l’école - qui pour l’instant avec de grandes difficultés pouvait réussir à endiguer dans une certaine mesure les logiques à l’œuvre. Et c’est en ça, qu’une réflexion sur la question de la numérisation de l’école ne peut être détachée d’une réflexion sur le numérique plus globalement. Dire que l’école devrait être une forteresse imprenable pour le numérique - nous qui avons la volonté de défendre une certaine forme d’école opposée à celle que le rapport Fourgous nous propose -, ne peut pas se détacher et ni faire l’économie d’une réflexion plus large sur le numérique et de le relier avec ce qui peut se passer hors les murs. Nous devons être capables de comprendre, que deux modèles civilisationnels s’affrontent. On peut se demander si dans une société où les machines nous rendent tout accessible en un clic, si mémoriser a un sens. Aussi pourquoi essayer de s’élever intellectuellement, culturellement, spirituellement dans un monde où seul compte la communication, la circulation de l’information ? Un monde où je ne deviens - et là on n’a que des transformations quasi-anthropologiques - qu’un maillon d’un gigantesque système communicationnel. Un monde où les manières d’être sont en train d’être transformées en profondeur. Un monde où on est face à des individus de plus en plus éclatés, qui vivent dans un tumulte permanent, en difficulté pour développer une certaine forme d’intériorité, ouverts à tous mais incapable de se fixer sur rien, insatisfaits mais répondant aux pulsions du marché que la technologie entretient. On se demande en effet comment l’école pourrait résister face à un tel déferlement alors que son rôle est tout autre ? et que face à cette nouvelle type de personnalité dans laquelle la vie intérieure n’existe plus, où un temps nécessaire à la construction de soi n’est plus possible, où la connaissance profonde du monde et de son histoire là aussi est considéré comme inutile, et que ça ne marche pas , ne fonctionne pas.

Et dans ce monde où tout ce à quoi l’école devait nous préparer est en train de se fragiliser ou de disparaitre, on se demande comment l’école pourrait continuer à préparer à cela dans ce contexte-là. C’est important d’avoir une vision politique plus large. Et face à tous ces thèmes qui sont reliés et dessinent un monde, face à un modèle civilisationnel porté par des acteurs puissants, il faut être capable dans un premier temps d’en formuler une critique et de ne pas accepter cette dénaturalisation.