TECHNOlogos 5èmes Assises des 15 et 16 septembre 2017 : "La numérisation de l'éducation"

Deuxième débat du samedi matin

Avec Christophe Cailleaux et Olivier Rey

Retranscription

 

Public : j’ai réagi lorsque j’ai vu écrit « enseigner le numérique » comme si c’était une matière comme une autre. Alors qu’en fait c’est « enseigner par le numérique ». Pour moi, il y a confusion entre ces deux expressions, le numérique n’est pas une matière !

Public : j’ai une formation scientifique et il y a un point qui m’a étonné – il y a quelques années lorsque mes enfants étaient à l’école. La vision numérique ou la vision internet, n’était pas qu’une question de médias, mais que cela envahi la forme et le programme de l’enseignement. En physique ou en biologie, je voyais que les choses étaient enseignées de façon de plus en plus superficielle mais que la masse des informations était considérable, comme si les enfants devaient cliquer d’un point à un autre sans creuser à fond. Et je trouve que l’internet a changé la structure des programmes. J’ai lu dans les manuels de mes enfants, des points que je n’avais vu qu’en université au niveau maîtrise. Devant l’inflation des masses de choses à ingérer, le livre de sciences naturelles devenait un Wikipédia tout en restant très superficiel. En physique et en première ou terminal je voyais que les bases que j’avais apprises n’étaient plus enseignées. Le numérique n’intervient pas uniquement comme média mais aussi dans la structure de ce que l’on enseigne aux enfants.

Olivier : ce qui est mis en avant grâce à ses outils informatiques d’aujourd’hui et qui est formidable, c’est que toutes les connaissances sont immédiatement disponibles. Mais cela a aussi quelque chose de totalement écrasant. On est confronté, en tant qu’individu, à une masse de connaissances monstrueuse. De ce fait, ceux qui sont en charge d’enseigner se trouvent dans une position très difficile. Par rapport à cette masse absolument gigantesque de savoir, ils se rendent compte que ce qu’ils peuvent transmettre directement est très limité. Ils vont alors avoir tendance à vouloir transmettre de plus en plus. Mais comme les enfants restent les mêmes, avec parfois des difficultés d’attention… D’un côté il y a des masses de plus en plus grandes de connaissances disponibles, de l’autre des capacités d’absorption constantes, voire réduites… En voulant augmenter la masse des connaissances, on arrive à des choses totalement superficielles. On a un déferlement de données et l’élève fait face comme il peut à ce « déferlement ». La situation de l’enseignant est rendue beaucoup plus difficile par la quantité gigantesque de ce à quoi on a accès, cela lui demande plus de discipline, de réflexion pour définir les quelques éléments qu’il juge véritablement importants et qu’à tout prix il doit transmettre. Le reste s’accrochera – dans l’esprit de l’élève – comme cela pourra.

 

Public : quels conseils peut-on donner aux parents qui ont une connaissance très modérée du numérique alors que leur « travail » est un peu saboté par l’éducation ? Comment peut-on réussir à donner une bonne éducation à la maison et être un peu soutenu à l’extérieur ?

Public : mes remerciement aux intervenants car il y a eu de belles rencontres. Aux termes des débats, j’ai l’impression qu’il y a plein de choses qui sont ouvertes et que certains arriveront à établir une suite sur papier. Car j’ai envie d’entendre des suites à ce qui a été proposé.

Public : il existe un chapitre inédit du livre de Jean Songe Ma vie atomique qui s’appelle Nos amis les experts qui n’a pas été jugé nécessaire d’être publié par l’éditeur. On peut le retrouver sur le site du CRAS Toulouse en version pdf. Il porte sur la question du nucléaire. On remarque que les GAFA au niveau planétaire et aussi des réseaux en France, que l’on voit à la manœuvre au niveau du nucléaire, le sont aussi dans la numérisation de l’éducation. Il est intéressant de creuser qui sont les acteurs de la défense de ces technologies.

Public : Le fait de lire ce qu’écrivent ces industriels du numérique permet de comprendre leur logique. Entre autre celui du mythe de la substitution, c’est-à-dire le fait de croire qu’un outil ou un objet technologique, numérique va se substituer à quelque chose qui existait déjà pour faciliter les taches. On le retrouve dans l’éducation, comme avec le cahier de texte numérique. Cela peut-être plus pratique ; mais le monde ne peut pas se réduire à sa praticité. Il peut y avoir des impacts. Et c’est là où la technologie n’est pas neutre : une chose ne se substitue pas à une autre. Le fait d’envoyer un mail, n’est pas identique à l’envoi d’une lettre. Le contenu de par le numérique change : on n’écrit pas un mail comme on écrit une lettre. De plus la lettre n’a pas la même temporalité. Le nombre de mails reçus par jour est sans rapport à celui des lettres reçues avant le numérique. Tout ceci prouve qu’une technologie ne vient pas se substituer à une ancienne pour améliorer ses tares ou ses limites. Elle vient créer un nouvel environnement, un nouveau rapport. Et c’est intéressant de lire les industriels, ils rêvent de prophéties autoréalisatrices – ils rêvent que ce qu’ils racontent se réalisent. Cela nous donne une tendance, qui est celle de casser l’école et le rôle du professeur en tant que tel. Ce n’est pas seulement de leur faciliter la tâche, ou de permettre aux outils numériques de leur faciliter l’accès à la connaissance, d’amener ce côté ludique qui va favoriser les élèves qui peuvent être en difficultés, l’idée c’est de se substituer progressivement au rôle du professeur et de casser l’école comme elle était pensée jusque-là. Il faut être capable de comprendre les tendances lourdes qui se dessinent et ne pas se laisser abuser par les effets de marges. Ce n’est pas parce que dans notre quotidien les choses peuvent être facilitées, que la tendance lourde n’est pas elle destructrice.

Christophe : je suis d’accord avec ce mythe de la substitution. Le numérique est un levier pour déposséder les enseignants de leur savoir-faire, de leurs savoirs ; il y a une externalisation. On peut l’appeler aussi prolétarisation, car on va leur voler leur savoir-faire, pour l’externaliser dans les machines qui seront la propriété de l’entreprise privée. Là je vois une substitution massive qui est à l’œuvre de la part de ses différents acteurs.
Pour une éducation lowtech, dans la relation entre l’école et les parents, il y a des petites choses à prendre en compte. Au cours d’une réunion hier avec les parents, on devait leur présenter notamment les outils numériques comme les ENT. Une mère d’élève me disait qu’elle en avait marre de recevoir 50 mails par semaine. Je lui rappelais que « cela fait partie de votre liberté de ne pas les lire, car il y a d’autres modes de communication ». Et cela peut servir aussi en interne. C’est un levier car le discours que nous tient l’institution à tous les niveaux, c’est : « ces outils sont formidables, irremplaçables et sont utilisés massivement par les parents ». En fait c’est en grande partie faux. Non seulement du fait de la fracture numérique qui joue sur le taux d’équipement, sa qualité, sa maitrise, mais aussi dans le fait que les parents s’investissent différemment dans l’outil ou le refuse. Refusez et dites-le, car cela nous donnera des arguments, dites-le au chef d’établissement en lui demandant de maintenir une communication écrite. Sinon de façon progressive on aura des suppressions, comme par exemple le fait de ne  plus envoyer les bulletins trimestriels systématiquement. Dans mon établissement, ils sont numériques tout au long de l’année et ils ne sont envoyés tous les trois qu’à la fin. Il y a des parents qui, ne se connectant jamais, ne voient rien pendant l’année. Un sondage interne donnait pour résultat que 40% des parents ne se connectaient pas. Il y a encore des rendez-vous ponctuels, leur enfant leur donne les résultats, mais il n’y a plus ce lien avec ce bulletin trimestriel. Cela fait partie des liens qui disparaissent sur l’hôtel du numérique.

Public : il y a un autre exemple où les parents peuvent intervenir, c’est la « classe inversée » où il y a des travaux qui sont donnés à faire comme des vidéos à regarder, des informations à chercher, … J’ai eu des discussions avec des parents d’élèves qui m’ont demandé comment ils pouvaient s’organiser à la maison avec trois enfants qui ont des travaux à faire sur l’ordinateur - avec leur enseignant qui leur avait dit que c’était important. Dite le aux enseignants qu’en terme de gestion du travail qui est demandée aux élèves, il y a quelque chose qui ne va pas dans la mise en œuvre, c’est difficile. Et au besoin prenez contact avec le chef d’établissement.