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Les écueils de la numérisation du monde et l’apologie du livre

Le 28 Octobre 2008, Google a annoncé qu’il avait passé un accord avec un groupe d’éditeurs et d’auteurs qui le poursuivait pour avoir violé leurs droits.

Google, l’entreprise américaine en pointe sur les moteurs de recherche en ligne, avait pour objectif d’offrir un service de recherche de livres et pour cela il s’est lancé dans leur numérisation en 2004, à partir du moteur de recherche « Google book ». Ce projet visait à offrir gratuitement ce service aux individus, aux bibliothèques, aux organismes publics, aux entreprises, aux universités mais aussi pour augmenter les revenus sur le Web. Un service de consultation sur le net qu’on pourrait aussi appeler d’édition de livres, où l’on peut lire ou consulter tous les livres.

L’objectif est de donner accès à des livres qui ne ne sont pas vendus ou qui sont épuisés. Depuis 2004, en commençant par les USA, il a passé des accords pour numériser (scanner) des livres avec des bibliothèques du monde entier, sans demander leur avis ni aux maisons d’édition, ni aux auteurs avec le projet de vendre le service d’accès.

Google a passé des accords  avec plus de 110 000 éditeurs et auteurs pour offrir un service de consultation des livres. Le projet qu’a entamé Google a commencé par la numérisation des livres possédés par 17 bibliothèques avec lesquelles il coopère, d’abord aux Etats-Unis puis dans le monde entier.

Il a numérisé toutes les pages ce qui permet aux bibliothèques partenaires de pouvoir consulter les données numérisées.

On trouve principalement l’Université américaine de Standford, celle du Michigan, celle d’Harvard, celle d’Oxford, des Universités et des bibliothèques publiques d’Allemagne, de Belgique, d’Espagne, de Suisse s’y sont joint, et d’ores et déjà plus de 7 millions d’ouvrages ont déjà été numérisés. Au Japon en 2007 la bibliothèque de Kéio s’y est associée et 120 000 ouvrages dont les droits d’auteur sont échus ont été numérisés. Aux principales langues occidentales comme l’anglais, le français, l’allemand, se sont ajoutés les livres en japonais.

Dans la situation actuelle, en ce qui concerne les ouvrages qui ont été enregistrés, ceux dont les droits d’auteurs sont encore protégés (50 ans après  le décès de l’auteur), sont présentés sous la forme d’un catalogue de bibliothèque où sont affichées quelques lignes correspondant à des mots clefs de la recherche et des informations sur le livre (on appelle cela « snippet » ou « fragments »). En ce qui concerne ceux dont la durée de protection des droits d’auteurs est arrivée à échéance et qui sont enregistrés dans le projet de librairie, on peut les lire ou les télécharger en totalité.

Ce qui avait commencé comme un site de recherche en ligne s’était métamorphosé au cours du temps en la plus grande bibliothèque et la plus grande librairie jamais imaginée.

Google nous explique les principes gouvernant ce projet de bibliothèque ainsi :

 « Une des raisons ayant motivé ce projet de bibliothèque numérique où l’on peut consulter des livres, c’est de pouvoir acheter des livres qui soit ne sont plus commercialisés soit sont épuisés. Grâce à un partenariat d’éditeur entre Google et les bibliothèques et les auteurs, nous sommes très heureux de pouvoir ainsi protéger avec ce moyen le patrimoine intellectuel de l’humanité. »

Cet idéal en soi n’est pas une mauvaise chose. Cependant il en va différemment dans la réalité.

« Parmi les 7 millions d’ouvrages qui avaient été numérisés en 2008, 1 million relevaient du domaine public (les oeuvres dont les droits d’auteur sont échus), 1 million avaient toujours  des droits d’auteur et se trouvaient sur le marché, les 5 millions restant avaient encore des droits d’auteur, mais étaient épuisés ». Robert Darnton « Google et l’avenir du livre ».

Il y a eu une histoire avant Google Book Search. Celui qui fut le premier à offrir le service de consultation de livres ce fut Amazon. En 2003, Amazon  sous l’appellation de « Search inside the book » avait commencé un service de recherche. Amazon s’était limité aux livres dont il avait obtenu les droits des maisons d’édition et des auteurs en conformité avec la loi sur les droits d’auteur.

Google qui avait pris du retard dans ce type de service par rapport à Amazon, lança son projet de librairie en 2004. Cependant, Google se heurta au principe du « Fair-use »  (usage équitable) qui régule les droits d’auteurs aux Etats-Unis, et sans avoir obtenu l’accord des auteurs il se lança dans leur numérisation.

Pour résumer les problèmes avec Google Book Search en particulier et la numérisation des livres en général sont les suivants :

  1. Google Book Serach a numérisé gratuitement des millions de livres et ensuite il compte vendre le service de consultation aux bibliothèques.
  2. Google Book Search est en situation de monopole, ce qui est inquiétant lorsqu’on se trouve dans un pays régi par le « Patriot Act » qui limite les libertés individuelles aux Etats Unis depuis 2001. Les données personnelles concernant les usagers pourraient être communiquées à l’Etat.
  3. Mais au-delà des problèmes du respect des libertés individuelles, c’est la mort du livre et à terme de la culture qui est annoncée avec la numérisation pour les raisons suivantes qu’on pourrait résumer par une « acidification du monde » :
    • Le papier résiste mieux que le numérique au temps,
    • la numérisation entraîne souvent la destruction des ouvrages qui ont été numérisés
    • Le microfilm n’est pas un produit de substitution fiable au papier.
    • Les droits d’auteur et surtout le rôle des éditeurs comme « filtres culturels » peuvent être remis en cause.

Il existe un projet similaire en Europe : « Europeana ». Contrairement à GBS les contenus en ligne ne sont pas hébergés sur un même site mais sur celui de leur institution et mises en réseau. En 2018, 51 millions d’objets seront numérisés.

Jean-Luc Pasquinet, juillet 2018