L’électrification du monde : mythes et réalité
I - Critiques de la transition écologique
L’avenir serait radieux, nous serions dans une phase transitoire entre un monde sale, celui de la société industrielle, le monde d’avant, qui s’appuyait sur le fossile et la société industrielle de demain qui sera propre car recourant majoritairement à l’électricité. La clef réside dans quelques innovations techniques centrées autour du renouvelable qui vont prendre le relais du détestable fossile. Quant au fissile on constate sa faillite, mais on trouve encore des gouvernements -souvent détenteurs de la bombe atomique- pour y croire… pourtant sa part diminue, il devient cher, il fait peur et il est controversé. C’est en quelques mots le résumé de ce qu’on appelle la « transition écologique ». La réalité est toute autre, il n’y a pas d’autre transition que celle vers un effondrement annoncé de la société industrielle en cours.
Nous allons démonter quelques mythes et ensuite examiner la vision officielle de l’avenir à travers une étude de BP.
a - l’impossible découplage
La première illusion dont il faut se départir c’est celle qu’il pourrait y avoir croissance du PIB et baisse de la consommation énergétique.
La société industrielle est née avec le fossile, et il ne s’agit pas d’une simple ressource, car le charbon a accompagné l’émergence d’une nouvelle vision du monde et d’une nouvelle culture. Pour la première fois une civilisation prétendait s’exonérer des rythmes naturels pour produire de la valeur, la nouvelle richesse de notre époque. Avec l’avènement de la société industrielle nous avons donc assisté à plusieurs nouveautés : la suppression des interruptions de production dues aux cycles naturels, la production de la valeur au lieu de biens particuliers, la centralité accordée au travail (abstrait) alors que dans l’époque précédente c’était une tâche « dégradante », l’idée qu’une croissance infinie dans une Terre limitée serait possible.
Par la suite le fossile n’a cessé de prendre de la place, même après la disparition de la machine à vapeur, avec l’essor du moteur thermique et enfin l’avènement de l’électricité.
L’essor de l’électricité est présenté comme une solution écologique. Or, fondamentalement rien ne change avec l’essor du renouvelable et de l’électrification du monde en terme de pollution, bien au contraire, avec la croissance du PIB, croit la consommation d’énergie et l’électrification de cette énergie.
Si l’on regarde au niveau mondial, la consommation d’énergie n’a cessé de croitre au même rythme que celui du PIB. Il n’y a pas de découplage entre les deux.
BP statistical review, 2018, et Banque Mondiale (PIB), 2018. Fait par Jancovici.
Autrement dit la consommation d’énergie suit la croissance du PIB, pas de croissance sans celle de l’énergie.
Et si l’on considère maintenant l’électricité, c’est pareil :
Part de l’électricité dans la consommation finale d’énergie par régions du monde
Source: Enerdata, Global Energy & CO2 Data
Entre 1970 et 2010, les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) anthropiques (imputables aux activités humaines) ont augmenté d'environ 80 %.
Bien que les émissions mondiales de CO2 dues à l'énergie diminuent d'une année sur l'autre ces dernières années, elles ont augmenté de près de 60 % par rapport à 1990. Dans l'Union Européenne, les émissions de CO2 ont diminué de 20 % par rapport à 1990, certes mais dans le même temps elles ont considérablement augmenté dans l’atelier du monde qu’est devenue la Chine :
En 2016, À elle seule, la Chine (10 717 Mt CO2) approche le niveau d'émissions des États-Unis (5 177 Mt CO2) et de la zone Europe/ex-Urss (6 216 Mt CO2) réunis. On peut dire que l’Europe a délocalisé ses émissions en Chine et qu’il faut considérer la relation PIB et énergie au niveau mondial.
Et en 2018 « le journal de tous les pouvoirs », Le Monde titrait :
Concentration record de gaz à effet de serre en 2018 et « aucun signe de ralentissement »
Selon l’Organisation météorologique mondiale, « la dernière fois que la Terre a connu une teneur en CO2 comparable, c’était il y a 3 à 5 millions d’années ».[1]
Rappelons enfin le fameux « effet rebond » de Jevons. Par exemple si les industriels parviennent à produire des automobiles consommant moins d’essence, les gens vont parcourir plus de kilomètres.
b - La transition écologique à l’épreuve de l’histoire
Et si l’on considère la soit disant « transition écologique », en fait il n’y a pas de transition énergétique, mais addition de différentes sources d’énergie comme l’explique JF Fressoz :
« A mieux considérer le passé, on s’aperçoit qu’il n’y a en fait jamais eu de transition énergétique, fait remarquer Jean-Baptiste Fressoz. On ne passe pas du bois au charbon, puis du charbon au pétrole, puis du pétrole au nucléaire. L’histoire de l’énergie n’est pas celle de transitions, mais d’additions successives de nouvelles sources d’énergie primaire. »[2]
Nous émettrons juste un bémol, c’est le cas de l’Allemagne. Elle a décidé d’arrêter le nucléaire avant 2022, et apparemment elle est en chemin pour le faire.
Soit, elle gardera au moins une ou deux centrales, soit elle aura du mal à sortir du fossile pour la production de son électricité. Car on la voit mal conserver la société industrielle (et en plus l’Allemagne a encore une industrie à la différence de la France) et se passer du fossile… à suivre donc.
c - L’énergie renouvelable – industrielle - existe depuis le début de la société industrielle : rien de nouveau sous le soleil, ni dans le vent
En ce qui concerne l’électricité stricto-sensu il y a eu beaucoup d’expérimentations au XIXème siècle, mais pas d’essor notable. Les éoliennes restèrent réservées à une couche de gens riches à cause de son prix.
En France, le premier à s’intéresser concrètement à l’électricité éolienne fut Charles de Goyon (1844-1930), Duc de Feltre et ancien député bonapartiste. C’était un aristocrate originaire de l’Ouest de la France qui abandonna la politique pour ses inventions. L’une d’elles est particulièrement intéressante puisqu’il s’agit de la première éolienne française produisant de l’électricité, à partir des années 1880.
Notons aussi l’ingénieur Constantin (né en 1877) à l’origine des éoliennes modernes dès 1926, à partir d’hélice d’avion.
Il y eu d’autres inventeurs comme ce Tellier qui pensait qu’i il y aurait pu avoir une « conquête pacifique de l’Afrique occidentale grâce au soleil » (1890), très tôt on a pensé exploiter la houille bleue (les marées), puis la houille blanche (rivière).
II- L’avenir de l'électricité [3] … selon British Petroleum
Quelques dizaines de milliers de centrales thermiques (charbon, gaz et fuel) émettent presque deux fois plus de CO2 que le milliard trois cent millions de véhicules. Les émissions liées à la production électrique sont sur une trajectoire depuis le début du siècle d'augmentation de 9 à 18 milliards de tonnes de CO2 par an contre 5,5 à 9 milliards par an pour l'usage pétrolier dans le transport par exemple.
Pour le reste du tableau ci-joint, je vous propose de sauter directement aux dernières lignes qui fournissent une répartition sectorielle de la consommation mondiale primaire d’énergie.
Le secteur transport ne compte 'que' pour 20% des utilisateurs de l’énergie primaire produite.
Le secteur bâtiments (qui recoupe usage résidentiels et services) compte pour 1/3 (30 %).
Dans ce secteur des bâtiments, ce qui est frappant est que quasiment toute la croissance (historique comme escomptée) résulte d'une électrification de nos existences - comme illustré par le graphe ci-dessous :
Enfin le secteur industriel compte pour 50% de cette consommation finale d'énergie - en additionnant les deux lignes du tableau BP intitulées Industry et Non-Combusted (celle-ci correspondant à des usages de l'énergie fossile ne donnant pas lieu à une combustion : produits pétroliers dans la pétrochimie, gaz naturel pour la fabrication d'engrais…).
Dans ce secteur industriel aussi, on observe une formidable électrification.
C'est ainsi que le dernier Outlook 2040 de l'AIE attribue aux moteurs électriques un tiers de la future augmentation de la demande d'électricité (davantage encore que la climatisation comptant pour 20%).
Personne ne sera surpris d’apprendre que ce phénomène d'électrification industrielle est essentiellement chinois : la consommation d'électricité de son secteur industriel est prévue d'augmenter sur ces 25 prochaines années d'un volume équivalent à quatre fois la consommation électrique actuelle totale de l'Allemagne !
La dernière ligne du tableau fournit un chiffre synthétique : la part d'électricité dans la consommation totale d'énergie primaire devrait avoisiner les 50% à l'horizon de 2040 - poursuivant l'augmentation tendancielle observée depuis 1970 :
Rappel de la part de l’électricité dans la consommation finale : 9,4 % en 1973 et 18,5 % en 2015.
Cette étude de BP formule que la demande d'électricité devrait augmenter trois fois plus vite que la demande d'autre forme d'énergie :
"In the Evolving Transition scenario, almost 70% of the increase in primary energy is used for power generation, with power demand growing three times more quickly than other energy".
Pendant ce temps la part du nucléaire (qui génère les plus grandes pertes) dans le mix électrique mondiale ou dans la fourniture d’énergie s’effondre. Elle a déjà diminuée de moitié par rapport à l’an 2000 dans la premier cas (aux alentours de 9 ou 10 % du mix électrique) et marginale dans l’autre cas (aux alentours de 5 % pour la production et 2 % pour la consommation finale d’énergie).
Peut-on imaginer des solutions techniques pour satisfaire cette électrification du monde ? Le fossile et le fissile sont dans une impasse, le renouvelable éolien et solaire ne sont pas adaptés à la société industrielle tant que l’on n’a pas trouvé de moyen sûr, fiable et reproductible de stockage de l’électricité. Il ne reste plus que la sobriété.
Néanmoins, aujourd’hui on assiste plutôt à une explosion d’efforts pour nous imposer la « smart city » et la voiture électrique, le rêve d’une énergie électrique « propre » et « abondante » domine les esprits…
Jean-Luc Pasquinet - Octobre 2020
[1] Le Monde avec AFP, publié le 25 novembre 2019 à 11h48 - Mis à jour le 25 novembre 2019 à 12h34
[2] Libération 4/12/2019
[3] D’après une présentation faite par Jean Sombre à Momentum