Genèse d'une croyance

Le monde qui se fait sous nos yeux obéit à la même idéologie que celle du bourgeois du XVIIIe siècle : celle du bonheur. Mais le bonheur a changé de rôle et de signification. Il était à l’origine une vision plus ou moins claire d’un monde souhaitable. Mais depuis, un phénomène est apparu : le bourgeois a partiellement réalisé son objectif par la création du bien-être, au moyen d'une prolifération d'utilités. Et voici que cette multiplication d’objets à consommer produit un effet singulier : elle exige de celui qui les produit un sacrifice de plus en plus accentué, le travail ; elle entraîne pour celui qui les consomme une abstraction de l’être. Ainsi cet homme heureux, plongé dans le bien-être, est réifié.

Jacques Ellul, Métamorphose du bourgeois, 1967
2ème édition, La Table ronde, 1998, pp. 294-295

Il est extrêmement difficile de comprendre que la technique constitue non seulement une idéologie mais l’idéologie la plus prégnante qui soit, affectant toutes les nations et les individus de toutes les couches sociales imaginables, les riches comme les pauvres.

Alors que les critiques ne manquent pas contre le capitalisme et le libéralisme ou - plus rares car passées d’actualité – celles contre le socialisme ou le communisme, l’argumentaire technocritique suscite la plus grande perplexité quand ce n’est pas l’absence pure et simple de toute considération. 

De fait, reconnaissons que la tâche n’est pas facile car il est impossible de parler de technicisme. L’idéologie technicienne est la moins reconnue de toutes les idéologies du fait qu’elle prend sa source dans les couches les plus profondes de l’inconscient.

Pour saisir la façon dont elle façonne la quasi totalité des mentalités, il est indispensable de remonter à son éclosion, au XVIIIe siècle, quand ce qu’on appelle « la bourgeoisie » a pris les commandes des nations et est parvenue à imposer au monde entier l’idée que le travail est une valeur et quand elle s’est mise à croire (puis à faire croire) que le travail mène au bonheur.

On ne peut comprendre ce qu’est l’idéologie technicienne qu’en retraçant sa généalogie et en identifiant les subterfuges par lesquels les hommes en sont venus à remplacer l’idéal du salut de l’âme par une quête de confort qui relève de la frénésie, de l‘obsession et de la compulsion, jusqu’à en perdre le bon sens élémentaire, du moins celui de la responsabilité.

Cet atelier s’organisera autour de la lecture de Métamorphose du bourgeois, un ouvrage écrit par Jacques Ellul en 1967, quelques mois seulement avant que "les évènements de mai" ne viennent consacrer, et pour longtemps, la dissolution des derniers idéaux révolutionnaires dans la lascivité hédoniste et l’anesthésie de l’esprit critique, qui sont les résultantes directes du « progrès technique ».

Ce séminaire est le premier du cycle Idéaux enfumés.

Il aura lieu :

Jeudi 24 novembre à 17h30 dans un lieu aixois,

sur inscription seulement.

N’importe qui peut y assister mais ne peuvent y participer que ceux qui auront lu le livre. L’identification de l’idéologie technicienne passe en effet par le discernement et le dépassement des lieux communs colportés par les médias mais aussi, hélas, par bon nombre d'intellectuels (ou proclamés tels) et de militants, pourtant bien intentionnés.

Information et inscriptions : marseille-aix@technologos.fr

Métamorphose du bourgeois
Jacques Ellul (1967)


2ème édition, La table ronde 1998


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