TECHNOlogos 5èmes Ateliers d'été du 14 au 17 juillet 2018 à Bure

Technique et nucléaire : comment sortir du culte de la puissance et de la destruction

Je rebondis sur le mail de Thierry, que je remercie au passage ! Coincé dans ma forêt, à mi-chemin entre le centre de recherche atomique et Aix en Provence (élue à l’unanimité « ville la moins radicale de France » 5 ans de suite !) je finis par me trouver trop « ultra »… Heureusement que Thierry est là pour me faire me sentir comme un petit bourgeois vaguement social-démocrate, ça me raffermit ! Demain je bouffe un vegan (ou pas… j’y reviendrai).

Je fais le même constat que Jean-Luc sur les ateliers, nos débats manquaient de structure et (comme d’habitude ?) on a commencé par ne pas être d’accord  sur la définition de « technique ». Encore la faute à ce mot « à la con » bien ambigu ! Cela mériterait qu’on y consacre des ateliers complets. Pour notre défense, on a commencé vachement à la bourre, dont le 2ème jour à cause d’un vrai-faux contrôle diligenté par l’Elysée (j’ai reconnu Benalla parmi les gendarmes). Les autres débats et échanges étaient eux, passionnants, et les ballades, autour du bois ou avec Roseline jusqu’à l’Andra ont été édifiants. C’est une chose de savoir que ça existe, c’en est une autre de le voir. Et ce sentiment d’absurdité… La fin de la ballade autour du bois surtout, à marcher au ralenti, en tongs dans les cailloux, suivis 10m derrière par 2 véhicules de gendarmes. A chaque pause pour enlever un caillou de ma tong, ils s’arrêtaient… Et puis, on atteint vite le point godwin, le lendemain j’ai tenté une variante Foucault version Surveiller et Punir, mais avec encore moins de succès, le gendarme ne connaissait que Jean-Pierre… J

Je crains fort de ne pas pouvoir résumer le débat de l’après-midi que j’ai « animé » (c’est un bien grand mot). C’est un peu parti dans tous les sens, mais agréablement. J’ai eu l’impression qu’à chaque fois que ça dérivait, tous les participants dérivaient aussi dans le même sens, une sorte de débat sans sujet réussi. On est partis du texte de Joël sur sciences-critiques, ça a dérivé sur le sentiment de catastrophe, partagé ou pas par les participants (massivement chez les TKL, beaucoup moins chez les Buriens), sur l’augmentation du trafic aérien, résultat non pas d’une évolution « technologique », mais plutôt à un autre type de changement « technique » : la métropolisation. Et Bure est à mi-distance de deux métropoles, donc dans un grand vide. Digression sur la « creative class » (l’article du diplo en question, en PJ), forcément on a aussi parlé de nucléaire… Donc impossible à résumer, et c’est très bien comme ça !

Donc mon ressenti sur le séjour à Bure, un peu en réponse à Thierry. Effectivement, une vraie rupture générationnelle dans cette lutte. En arrivant, je pensais trouver des anti-nucléaires « standards », et j’ai été assez surpris. Je ne sais pas trop pour le côté punk à chiens (un titre que je revendique pour moi-même), ça m’a plutôt fait penser au milieu techno/free party. Je n’ai pas été particulièrement choqué par le côté drogues, j’en vois un qui est clairement poly-toxicomane encore en phase euphorique, mais je n’ai pas eu l’impression d’être dans une crackhouse. Ce qui m’a vraiment étonné par contre, c’est ce mélange assumé entre « culture geek » et lutte. C’est un truc de génération, moi je suis pile poil dans celle qui a vu l’explosion du jeux-vidéo, l’arrivée des mangas, en plus j’ai fait des études d’informatique, ça a pas mal écrémé, mais j’ai encore pas mal d’amis dont c’est la principale préoccupation. Les manga m’emmerdent, mais le jeux-vidéo je me tiens encore au courant, c’est un des deux meilleurs indicateurs pour savoir ce que sera tout le reste du web dans 5 ans… Et puis c’est de loin la plus grosse industrie culturelle « de masse » (passée devant le cinéma… il y a 25 ans !) C’est un gros sujet, qu’il ne faut pas sous-estimer ! Mais bon, même si j’ai cette « culture » dans un coin de ma tête, j’ai tendance à la considérer comme non-légitime. Spontanément j’aurais un peu de mal à vous avouer que je fais parfaitement la différence entre un RPG, un FPS ou un STR… Mais là, à Bure, c’est totalement assumé. Avec de grandes réussites, comme le tag sur le mur du bois « Totoro nous vengera » (en référence à toute l’œuvre de Miyazaki, qui est dans le haut du panier du manga) et des trucs plus étonnants, j’y ai vu une partie de Magic (ou comment faire du jeu de carte une monstruosité capitalistique)…  ça me fait un peu penser à ce que me disait Bertrand quand j’étais à Longo maï pour préparer les ateliers l’année dernière : « Avant à Longo y’avait pas la télé. Maintenant les gens regardent des films sur leurs ordinateurs le soir dans leurs chambres ».(retranscription approximative).

Je ne crois pas avoir entendu parler d’Anarchie (à part par les TKL) mais plutôt d’anti-autoritaire. J’ai trouvé ça intéressant, étymologiquement ou pas, c’est quand même assez différent l’autorité et la hiérarchie. Une hiérarchie on-autoritaire c’est cool ??? Moi je préfère quand elle ne fait pas semblant, au moins c’est clair. Mais pas sûr que le mot ne soit pas juste utilisé par habitude.

Sur l’aspect agrégat de luttes, d’après ce que j’ai pu voir à l’info kiosque, c’était quand même pas une majorité de trucs inhabituels. Le côté LGBT, ça m’a l’air particulièrement bouillonnant en ce moment, la grande cause sida est passée, ils se sont rendus compte que « la communauté LGBT » n’existe pas et ça s’est fragmenté en plein de chapelles qui se veulent plus radicales les unes que les autres… ça part dans tous les sens, il faudrait se dire « cisgenre » quand on a « choisi » de garder son sexe d’origine. Ou la scène sur le plateau d’Arrêt sur images où un mec, barbu et un peu chauve s’insurge d’être qualifié d’homme : il est intersexe, et refuse qu’on l’assimile à un sexe en particulier… A mon avis ça finira par se calmer, comme les gros délires maoïstes des années 70.

Et il y a la question du véganisme. Je partage certains constats avec les militants vegan, mais faut avouer que ça devient fatigant. Avant dans les conférences il y avait toujours la question du relou obsédé par l’éducation/la culture, et qui s’indignait qu’on n’ait pas parlé du rôle prépondérant de l’éducation/la culture dans la politique de la BCE/la salinité des océans/la fertilité de l’Aigle de Bonelli… Maintenant le relou est devenu le militant vegan. Cet été aux déconnomistes, sur un sujet sans aucun rapport, du genre la création monétaire, intervention du public, un militant vegan fait son happening en expliquant qu’en arrêtant les produits animaux « on pourra être 35 milliards sur Terre ». Je bouillais de pouvoir lui demander « Avec chacun sa bagnole ? ». Plus récemment et pour des raisons bassement lubriques, j’ai voulu cuisiner un bon repas pour impressionner une copine végétarienne. Je suis tombé sur les recettes proposées par l’association L214 : gavées de produits exotiques importés et de de saloperies industrielles du genre pâtes de graines protéinées… Ils font le constat de la souffrance animale dans le système industriel, mais ils refusent seulement qu’il y ait un animal impliqué, et pas le système industriel ! Mais je ne mets pas pour autant dans le même sac les vegans hipsters de centre-ville qui mangent un truc improbable, le prennent en photo avec leur iPhone™ pour la mettre sur Instagram™, avec les gens de Bure qui sont dans leur véganisme bio et local, au milieu d’un océan de blé glyphosaté ! Je ne les suspecte pas de sympathies pour le système agro-industriel. A mon avis, c’est bien parti pour durer, et comme pour la viande hallal, ça va rester l’hystérie politique et médiatique autour du sujet, mais ça sera parfaitement digéré par l’agro-industrie et un marché de niche bien juteux pour la grande distribution… Herta a désormais sa gamme vegan …

C’est illusoire de vouloir faire un compte rendu avec ça, mais bon…

 

Nicolas Decome, juillet 2018