Qui sont les zadistes, que veulent-ils
... et que nous enseignent-ils ?

Durant 50 ans, l’État a caressé le projet de construire un aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Au fil du temps, des quantités de personnes s'y sont opposées et finalement, en janvier, le gouvernement a abandonné le projet, indiquant que celui-ci « ne répondait plus aux normes écologiques », mais précisant qu’il ferait expulser de la zone ceux qui ne se mettraient pas "en règle", quand bien même le saccage a été évité grâce à eux. 

Monsieur Macron répète à l'envi qu'il faut « respecter l'état de droit » mais fait mine d’ignorer l’article 2 de la Déclaration des Droits de l'Hommequi donne aux citoyens le droit de « résister à l’oppression ». Or que font les zadistes sinon résister à l’oppression du marché ? Aujourd’hui, les industriels dézinguent la planète avec la complicité des États, lesquels dérégulent le marché au prétexte d’aider les industriels à créer des emplois. Or, ayant pour la plupart enduré le chômage et le précariat, ces jeunes ont trouvé là-bas des "emplois stables". Ce qu'ils veulent, c’est simplement les exercer sereinement et sainement, sans gaver la terre de pesticides ni mourir de cancer, comme bon nombre de ceux qui pratiquent l’agriculture intensive; lesquels, eux, ne sont pas expulsés mais subventionnés par l’État !

Une inconscience quasi générale

A l'instar de nos gouvernants, une part notable de "l'opinion" se ferme aux zadistes. Autour de nous, on entend des propos du genre : « qu'ils fassent comme tout le monde : qu'ils bossent et qu'ils les achètent, leurs terrains », cautionnant ainsi le pouvoir absolu de l'argent sur la vie. Ou encore : « qu’ils les signent, ces formulaires individuels, et qu’on n’en parle plus », sans réaliser ce que signifie d’être fiché aux renseignements généraux ; a fortiori sans prendre conscience que le monde est cancérisé par l’individualisme et comment soi-même, par pur conformisme, on entretient ce cancer.

"Non, les brav's gens n'aiment pas que... l'on suive une autre route qu'eux", chantait Brassens... Alors, combien peu conçoivent-ils l'idée d'une oppression du marché ! Si préserver le bocage du béton, du kérosène et du bruit ne fait sens ni pour le patron ni pour le politique, qui croit que "l’intérêt général" passe par celui du patron, l'argument ne vaut guère plus pour la majorité des salariés, qui, "en ces temps de crise", louent le patron de bien vouloir continuer de les employer et leur verser assez, chaque fin de mois, pour qu'ils puissent se doter du dernier gadget électronique. Ceci quand bien même leur patron devrait indéfiniment épuiser la terre pour satisfaire leurs désirs insatiables. "Après moi le déluge", ainsi va l'écologie... Disons-le crument : respecter la planète et se respecter soi-même... ce type d'argument n'a aucun poids face à la frénésie générale de l'innovation : « on n’arrête pas le progrès », que diable ! Et quiconque ose en douter doit être illico réprimé.

Quand monsieur Hulot veut "faire entendre raison" aux zadistes, il invoque la "raison d’État" mais il se garde bien d'indiquer ce qu’il y a de rationnel à criminaliser les authentiques défenseurs de l’environnement. On mesure ici non seulement l'hypocrisie de ses arguties mais l'ambivalence du concept même  d'intérêt général.

De la raison d'État à la violence d'État

Hulot traite les zadistes d'anarchistes, autrement dit de "créateurs de désordre". Mais qui crée le désordre dans la zad ? Ceux qui souhaitent y vivre et y travailler paisiblement ou ceux qui, à force de blindés, de grenades et de gaz asphyxiants, veulent les en déloger ? Celles et ceux qui, loin des grands discours écolos, et à force de simplicité volontaire, entendent mettre leurs comportements en concordance avec leurs idées ou bien les grands commis de l'État qui couvrent les industriels peu scrupuleux ?

Pour répondre à ces questions, deux conditions sont à réunir, que nous avons déjà abordées lors de nos ateliers d'été à Notre-Dame-des-Landes, en 2015 :

- il importe d'abord de dépasser le cadre du traditionnel "combat contre le capitalisme" : bien plus fondamentalement, c'est le productivisme et l'idolâtrie de la croissance qu'il importe de remettre en question.  



 

- la place de l'État dans l'imaginaire collectif est également à étudier, ce qui nous oblige à convoquer l'Histoire. Rappelons juste qu'au XVe siècle, la bourgeoisie commerçante européenne s'est émancipée de la tutelle de l'Église et que ce moment marque la date de naissance de la vénération de l'État, comme le rappellent Machiavel et surtout La Boétie (Discours de la servitude volontaire). Et c'est pendant la Révolution industrielle que se sont développés tous les grands discours de légitimation de l'État, conduisant Hegel jusqu'à clamer  « il faut vénérer l’État comme un être divin-terrestre ». Au début du XXe siècle, Max Weber a indiqué pourquoi et comment l'État use de son monopole de la violence.

La violence policière présente l'avantage d'être visible, donc assez bien identifiable. Bien plus agissante et pernicieuse est la violence symbolique, analysée par Bourdieu, qui s'exerce non plus seulement sur les zadistes et les marginaux mais sur toutes celles et ceux qui ne disposent pas du capital intellectuel nécessaire pour réaliser qu'ils sont manipulés par les dominés. La violence étatique est même assez peu efficace quand elle s'exerce par les voies policières (on le voit bien à Notre-Dame-des-Landes !) en comparaison avec les lois liberticides (on parlait autrefois de lois scélérates...) imposées par l'appareil d'État, du type Lopsi, présentées - suprême irônie - comme des garanties de liberté. Et plus encore avec l'arsenal des normes techniques qui ne cesse de croître.

La violence étatique se nourrit du manque de discernement concernant l'image collective de l'État et - cercle vicieux - ce manque de discernement renforce cette violence. Il en va ainsi "à gauche" comme "à droite" : que l’on croie à l’État-providence ou à l’État-gendarme, se vérifie ce qu'indiquait Jacques Ellul en 1973 :   « ce n'est pas l'État qui nous asservit, même policier et centralisateur, c'est sa transfiguration sacrale ». On sacralise l'État dès lors que l'on se déresponsabilise soi-même, que l'on attend de lui qu'il exerce  toutes sortes de choses à notre placeRaymond Aron avançait qu’à l’ère des états-nations, la politique est devenue une religion séculière l'État joue aujourd'hui dans l'imaginaire collectif un rôle en tous points comparables à celui que jouait autrefois l'Église.

Notre propos ici ne doit pas être entendu comme un appel à l'anarchisme mais comme une invitation à sortir du citoyennisme, tant celui-ci, tout entier, constitue un acte  de dévotion à l'État. 

Agir localement

Ayant ainsi "pensé globalement" la place de l'État dans l'imaginaire collectif (et donc compris pour quelles raisons celui-ci peut durablement et dramatiquement compromettre l'avenir de la planète, quoi qu'en disent ses "représentants"), il importe que chacun tire les enseignements de Notre-Dame-des-Landes.

Après avoir visionné le film Les pieds sur terre, de Batiste Combret et Bertrand Hagenmüller, qui dresse le portrait de plusieurs zadistes l'an dernier, peu avant que Macron n'abandonne le projet d'aéroport, nous nous efforcerons de discuter comment il est possible, nous aussi, dans notre région, de s'opposer à d'autres chantiers mortifères; que ceux-ci soient initiés par l'État ou qu'ils reçoivent simplement sa bénédiction, comme c'est par exemple le cas dans les Bouches du Rhone avec le dossier des boues rouges.

 

  • La soirée débutera par un diaporama constitué de photographies
    prises par Valka, une zadiste.

     
  • Pour couvrir les frais de diffusion du film, il sera demandé
    au public une participation financière (prix libre).

 Mardi 8 mai,18h 
3C (Café Culturel Citoyen)
23, boulevard Carnot, Aix

Voir l'affiche 

Présentation générale du cycle : RÉVOLUTION ET/OU BONNES QUESTIONS