FEUILLE TECHNOCRITIQUE

Dans quel monde suffit-on ?

Nous sommes tous considérablement limités. Percevant notre environnement si complexe avec nos sens biologiquement déterminés pour n‘en capter qu’une infime partie, suffisante à notre existence. Pris dans un réseau social gravant us et habitus au plus profond de nous-mêmes pour nous assigner un rôle lisible et visible par les autres, avec lesquels nous coopérons sans cesse. Soumis aux coups cinglants de nos propres incapacités qui nous reviennent à la figure quand on tente de les ignorer, comme des élastiques tendus par un méchant gamin ou les cordes d’un ring. Cependant, si on se demande comment, et surtout pourquoi vouloir dépasser nos limites, « s’augmenter » ; la réponse n’est pas évidente. Cette question s’ancre dans une culture et un temps précis, les nôtres. Impossible de s’en extraire pour l’analyser avec la distance qui conviendrait.

« Le Monde ne suffit pas » est le titre d’un énième épisode de la série des James Bond, personnage d’agent secret ultra-dominateur. Son grand succès d’audience provient de la séduction d’un caractère résolvant en lui toutes les contradictions : transgressif mais soutenu par l’autorité, baignant dans un confort luxueux qu’il détruit sans vergogne, sensuel malgré son équipement hyper-technologique, attiré sexuellement par ses ennemis…etc. Ce caractère impossible est celui d’un être archi-complet, parfait dirait-on. Face à l’univers qu’il s’agit pour ce personnage de conquérir, et de dominer comme un explorateur moderne, il semble que le monde de tout un chacun, partiel et limité, ne fasse pas le poids

Cet univers à explorer frénétiquement se confond trop aujourd’hui avec celui que nous chérissons pour sa beauté, et dont les trésors nous apparaissent à raison inépuisables. Essayons donc de les décoller l’un de l’autre, afin de rendre aux mondes modestes des uns et des autres leurs possibilités d’existence. Nous sommes d’ailleurs oppressés par l’injonction permanente à nous dépasser, alors que les limites planétaires le sont déjà presque toutes, dépassées !

Mathilde C.

Le cirque Kirk*

Dommage pour une nouvelle lumière sur le monde, célébrée d'être assassinée.

Un jeune homme, influenceur pro armes et vendeur de chrétienté familiale, vient d'être tué par un quidam, porteur d'arme en toute légalité et grand spectacle. Cela se passe aux USA.

La voix de Charlie (pas envie d'être celui-ci) Kirk, c'est la voix augmentée de dieu, par et dans la machine pour des millions de paires d'oreilles gloutonnes.

Voix humaine ou artificielle, vivante ou morte, vivante et morte ( la science précisera!), du pareil au même ?

Pas exactement, car là où il y a un corps et sa voix de chair - machine ou pas - ça  peut saigner et mourir.

C'est bien cette indéniable supériorité du vivant à pouvoir mourir, pour ce Charlie, de ses paroles distribuant amour, jugement, haine et vérité qu'elles deviennent plus vraies que vraies , surhumaines, habiles à désigner l'ennemi. Ainsi interpelé, un ennemi présumé a répondu sans discussion : il a tiré.

On n'est pas encore assez fou pour tirer sur une machine parlante ! Et pourtant...

Et celui qui a parlé si fort meurt de ses mots divinisés, sacrificiels, adorés. Ils sont la preuve absolue du juste, de l'indiscutable choix du bon et du méchant.

Le grand tambour de la machine à laver tourne et détourne l'esprit flottant des foules solitaires. Tambour, machine, écran, tous sont au service de la grande offensive du religieux à la place du politique.

Le dieu est fin prêt à s'installer par et dans la machine toute puissante adulée, des guerriers chefs, qui nous veulent du bien.

Mais ils seront eux aussi bouffés par les foules hurlantes et abruties. Pas d'oubli pour l'envie de tuer.

Pas de quartier pour la mort. Le dieu est là, qui veille à cryogéniser le corps des justes si méritants... pour une fraiche résurrection moyennant finances, promise par la science.

Des tueurs officiels souriants (Poutine et Xi Ping en conversation réelle- enfin, je crois ) rêvent d'immortalité pour le bien de leur peuple bien-sûr.

Allons-nous cesser de nous détester à coups d'antéchrist, de vérités douteuses, éperdues (c'est moi qui ai raison, donc ta g...) au gré des machines et leurs puissants réseaux de fin du monde ?

A moins que ce ne soit que la fin du Web et de ses illusions de boni/mali-menteur ?

* Chez les écossais, kirk signifie église

R.