Penser la technique aujourd'hui
FEUILLE TECHNOCRITIQUE
N° 011 de mai 2025
Où il est question de cas…
ll y a un demi-siècle, moniteur en centre de vacances, j’ai rencontré, côtoyé des profils différents. Sans forcément retenir tout de ces instants passés, le soir lorsque nous retracions la journée passée et préparions un plan d’activités pour la journée du lendemain, un moment de liberté s’installait. Un morceau improvisé à la guitare 12 cordes, parfois accompagnée d’une 6, laissait notre cortex résonner au plus profond, sollicité et porté par ces ondes. Venait ensuite des échanges spontanés où nous nous découvrions chacun un petit peu. J’ai le souvenir d’un moniteur d’une vingtaine d’années qui était travailleur social ; c’est-à-dire qu’il accompagnait des plus jeunes sans trop de repères. Donner du sens, redonner le sens des activités en commun, partager au moins un projet, tel était son job qui n’avait pas trop de frontières d’horaires ou de lieux. On appelait alors ces jeunes des « cas sociaux ». A cette époque, il y avait aussi le facteur à vélo, le début de la télévision en couleur, le garde champêtre portant encore des nouvelles, mais aussi la transhumance vers les villes, l’urbanisation galopante voire démesurée et déjà de moins en moins d’âme.
Aujourd’hui sommes-nous devenus pour la plupart des « cas » à des degrés différents, recevant sollicitations ou sollicitant pour nous tenir en mouvement, pour produire un peu, consommer le plus possible, pour réfléchir si peu ? Des « cas » enchaînés à un écran plat, cet instrument électronique, sorte de doudou caressé, indispensable à chaque moment de notre vie qui s’écoule. Se dessine-t-il alors des êtres asociaux, sous-entendu des êtres « uniquement » liés aux impératifs de la « société-agglomérat » qui se dessine, en lien avec des êtres avatars ou des êtres en mutation avec de moins en moins de chair et d’altérité. Mais y-a-t-il encore une voie vers une société où chaque individu ferait corps, ferait relation avec les autres sans interface castratrice et sclérosante ?
Que font les réseaux sociaux à part du flux - énergivore ? N’essayent-ils pas à tout prix de connecter des cas individuels qui par nécessité, par besoin, par obligation d’appartenance ou d’apparence, reçoivent donc et parfois émettent des signes de pseudo-existence, de plus en plus éloigné du vrai, de réalités. La décroissance énergétique de ces flux intempestifs est-elle encore à notre portée ? Se tourner vers la richesse du lien pleinement vécu, celui du face à face, de la possibilité de désaccord... Retrouver le lâcher-prise de l’instant sans clavier ou sans interface d’une IA. Abandonner l’apparence de l’hubris, de la toute-puissance, qu’un système met à notre portée et qui déshumanise la nature des liens. Ralentir le temps qui n’est plus le nôtre, mais celui de l’événementiel, celui du flux qui pour certains reste le fruit de la récolte monétaire. Sans flux inutiles, pas d’enrichissement factice et non plus d’appauvrissement forcé.
Alors retrouvons le chemin des cordes qui font résonner et venir nos pensées…
Ch. L.
Les brevets sur le vivant : mythe ou réalité ? suite
Poursuivons notre précédent article d’introduction aux brevets et aux OGM. On a justifié que les brevets sont une garantie de monopole qui permet donc au titulaire d’interdire l’usage du procédé breveté à un tiers. De plus, on a aussi expliqué que les OGM sont des « organismes dont le patrimoine a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas par multiplication ou recombinaison génétique naturelle ». En gros, c’est un bricolage génétique dans lequel on met un gène de bactérie dans le colza, le maïs ou le coton.
Quelle différence entre le vivant et les machines ? Dans le vivant, il y a la reproduction avec des échanges de gènes. Le petit n’est ni jamais ni son père ni sa mère. Cette reproduction sexuée fonde donc incidemment l’altérité et donc l’irréductibilité des enfants par rapport aux parents. Même pour les animaux ! Le pollen d’un champ de colza peut féconder une fleur de colza jusqu’à 26km. Mais si mon voisin a du colza qui récupère le gène breveté que je cultive dans mon champ, il est pollué ! Il est donc légalement un contrefacteur … et il doit être condamné. Le détenteur du brevet peut même envoyer des détectives traquer ces contrefacteurs et mettre une ligne de téléphone de délation. Vous croyez que je délire ? Non, cela s’est pratiqué dans les années 2000 aux EUA. Les semenciers qui vendent des OGM ont presque tout le marché d’Amérique du Nord. Percy Schmeiser a été condamné jusqu’en Cour Suprême au Canada pour avoir été pollué. Oui, vous lisez bien, les brevets entérinent le principe pollué = payeur.
Certes, la loi européenne est moins stupide (normal, on n’appelle pas Donald nos enfants et on ne leur met pas des oreilles de souris pour ressembler à leurs étoiles (star en anglais). Mais prenons l’exemple de Gautier semences. C’est un petit semencier français qui avait réussi à faire une laitue résistante à un puceron. Il vendait les semences de sa laitue. Un jour le semencier hollandais KWS a menacé ses clients de l’attaquer en contrefaçon. Les clients sont allés voir Gautier et lui ont dit qu’ils cesseraient de lui acheter ses semences. Gautier est donc allé voir KWS pour payer une licence à KWS. C’est du racket qui vise à consolider la chaîne semencière, puis la chaîne agricole, puis la chaîne alimentaire … ne faisant que peu de cas de la souveraineté des européens (en tant que nation comme en tant qu’Europe).
D’autres exemples existent et même le ministère américain de l’agriculture a reconnu que c’est la présence conjointe d’OGM et de brevets sur le vivant qui avait fait se consolider la chaîne semencière américaine (du Nord). Mais, restant fidèles à leur vision impérialiste, ils sont convaincus que tant qu’ils auront les plus grandes entreprises semencières, ils maîtriseront le monde et n’auront même pas besoin de le conquérir pour le dominer.
Les dernières actions de D. Trump montrent que l’ouverture des frontières qu’ils ont imposée à toute le monde ne visait qu’à leur permettre d’inonder notre marché et nous dominer. Ce « libéralisme » n’était qu’un leurre pour la promotion de leurs entreprises et leurs produits. Il n’y a plus que l’UE qui défende encore cette ouverture des marchés (des capitaux et des produits et du travail). Cela fait longtemps que les EUA, La Chine, l’Inde, la Russie n’appliquent plus ce libre-échangisme.
Olivier Leduc