Penser la technique aujourd'hui
FEUILLE TECHNOCRITIQUE
N° 008 de février 2025
Cabu pour toujours
Le dessinateur Cabu (1938-2015) a été assassiné à Paris avec d’autres membres de l’équipe de Charlie Hebdo voilà dix ans lors de l'attentat islamiste du 7 janvier 2015. Moi qui, venant de la région parisienne à l’adolescence, ai adoré les deux dernières années de ma scolarité au lycée de Châlons-en-Champagne (à l’époque Châlons-sur-Marne) que Cabu a rendu célèbre, moi qui ai pu mesurer l’extraordinaire popularité de Cabu à Châlons, je reste fidèle à ses convictions qui sont celles de ma jeunesse et que rappelle Le Canard enchaîné dans son édition du 8 janvier 2025 :
« Contre le nucléaire, la bagnole, le Paris-Dakar, le saccage des villes par la pub et le béton, les hypermarchés, les pesticides, les emballages plastique, la course aveugle à la rentabilité et au toujours plus : Cabu était de tous les combats écolos. Il se déplaçait en bus, en métro, en train. À part sa vieille Trèfle, qu’il faisait rouler une fois par an, il ne prenait jamais le volant. Pas de téléphone portable non plus. Il vivait frugalement. »
Les chansons de Georges Brassens (1921-1981) notamment La guerre de 14-18, et celles de Boris Vian (1920-1959) (Le déserteur, La java des bombes atomiques, La complainte du progrès) ont affermi ma jeunesse contre les guerres, le nucléaire, la bombe atomique, la course aux armements… et aussi contre tout le fatras des appareils électroménagers auxquels il faut ajouter aujourd’hui les gadgets informatiques, la voiture électrique et l’ensemble des technologies toutes plus inutiles et nuisibles les unes que les autres, que le capitalisme mondialisé n’en finit pas de nous imposer.
Sans avoir le génie de Cabu, de Brassens, de Vian, des auteurs et autrices « précurseurs de la décroissance1 », toutes et tous nous pouvons défendre haut et fort ce qui forme un tout cohérent et porteur d’espoir pour l’avenir : stop le nucléaire, stop les pesticides, engrais chimiques et OGM, stop le tout-plastique, le tout-électrique et le tout-numérique ; oui à une frugalité consentie, solidaire et heureuse.
Oui ça c’est la théorie, c’est beau mais en pratique ? Dans l’état actuel de l’organisation du travail, beaucoup ne peuvent pas se passer de voiture ; innombrables celles et ceux qui ne peuvent pas échapper à la malbouffe ; qui peut aujourd’hui en France refuser la carte bancaire et même le smartphone ? Pour la plupart d’entre nous, ce serait se mettre gravement en marge. Cependant, on peut ne pas accepter de travailler directement ou indirectement pour concevoir, fabriquer et vendre des armes ; on peut proscrire les voyages en avion, réduire au strict nécessaire l’usage de la voiture, de l’ordinateur ; préférer les relations physiques entre humains aux relations virtuelles avec ou via des machines. Dénoncer les mensonges des multinationales et autres élites qui nous gouvernent, protester inlassablement contre l’industrialisation et la marchandisation de nos vies, contre la destruction en cours du vivant, contre les pollutions, le bruit des machines, la laideur du monde industriel. Oser se dire technocritique, antinucléaire, antimilitariste, anticapitaliste… pour un monde moins menaçant, moins pollué et plus juste.
Françoise Boman
1. Biagini C. Murray D, Thiesset P (coordonné par). Aux origines de la décroissance. Cinquante penseurs. L’Échappée/Le pas de côté/Écosociété, 2017.
ÉOLIENNES EN MER
ÉPISODE 3 - Éoliennes et biodiversité
M. Macron « aime la mer ». Il le déclare en novembre 2023 aux Assises de l'économie de la mer à Nantes. Son amour se traduit par des financements de « projets de recherche, de zones industrielles portuaires » et des investissements massifs « pour le déploiement des infrastructures et le développement de l'éolien flottant ». Il poursuit ainsi l'artificialisation et l'industrialisation des océans largement engagées avec la pêche industrielle, l'exploitation pharmaceutique, pétrolière, les zones militaires, les millions de kilomètres de câbles sous-marins et l'abomination du minage des grands fonds. L'océan et sa biodiversité, encore mal connue, seraient pourtant à protéger de toute urgence. La vie en dépend : le plancton produit les 2/3 de l'oxygène et les océans absorbent environ 25 % du CO2. Toute atteinte supplémentaire met leur équilibre précaire en danger.
Le développement de l'éolien industriel est le fruit du délire productiviste, censé répondre à de nouveaux « besoins ». Il s'accompagne d'une propagande permanente : « la planète est en danger, la transition énergétique va nous sauver ». Or, toute technique portée à un niveau industriel est destructrice de la Nature et prétendre sauver l'environnement en le détruisant est absurde et cynique.
Dans le cas des éoliennes offshore, implantées par milliers le long des côtes, l'impact ne se réduira pas à la mort de quelques mouettes. Les effets néfastes cumulés sur la biodiversité sont nombreux, complexes et largement sous-estimés. On peut citer entre autres le détournement des couloirs migratoires et les pertes d'habitat, cause majeure de l'extinction des espèces dans le monde. Au large de Belle-Île les études environnementales entamées postérieurement au choix de la zone éolienne offshore entre deux zones militaires, révèlent, trop tard, la présence de nombreuses espèces protégées, dont certaines en danger critique d'extinction. Peu importe, les technocrates savent apporter des pseudo-solutions aux problèmes qu'ils ne veulent pas voir. Dans ce cas, il s'agira d'appliquer la démarche réglementaire « ERC » (Eviter, Réduire, Compenser).
Mais quand les zones éoliennes sont déterminées par des raisons économiques, éviter les impacts n'est jamais une option. Quant aux mesures de réduction, elles sont dérisoires et les promoteurs sont peu enclins à en assumer le coût. Éviter ou réduire les effets nocifs s'avérant impossible ou inefficace, il reste aux préfets à accorder les dérogations autorisant la destruction des espèces et des biotopes, au nom de la RIIPM (Raison Impérative d'Intérêt Public Majeur !) moyennant des mesures de compensation illusoires : rien ne pourra jamais compenser la perte d'un biotope.
Alors que les technocrates continuent leur acharnement à considérer la Nature comme un ensemble de ressources à exploiter et comme une variable d'ajustement économique, plus d'un million d'espèces animales sont aujourd'hui menacées d'extinction selon l'ONU (Organisation des Nations Unies).
Quant à nous, nous pouvons affirmer que M. Macron n'aime vraiment pas la mer.
I. Taitt